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6 octobre 2022 4 06 /10 /octobre /2022 08:38
  • Pendant longtemps, Marie Le Jars de Gournay, née le 6 octobre 1565, n’a été connue que pour avoir réalisé l’édition posthume des Essais, de Michel de Montaigne. Pourtant, la redécouverte et la publication d’une partie de ses œuvres ont montré qu’elle était une femme hors du commun et, incontestablement, une des premières féministes françaises.
6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

Née dans la petite aristocratie de Picardie, où elle grandit au château de Gournay, aînée d’une famille de six enfants, Marie refuse très tôt de suivre la voie tracée aux filles de son époque,  la préparation du trousseau et le mariage. Au contraire, dès son plus jeune âge, elle manifeste du goût pour la lecture et la littérature, au point d’apprendre toute seule le latin. Elle refuse de n’être qu’une « quenouille », métonymie par laquelle on désignait alors les femmes.

6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

Lorsque, l’année de ses dix-huit ans, elle découvre les Essais de Michel de Montaigne, elle est tellement envoûtée par l’œuvre qu’elle ne rêve plus que de rencontrer l’homme, vers lequel l’attire une « sympathie fatale ». Ce n’est que cinq ans plus tard que, profitant d’un voyage à Paris, elle lui écrit enfin et contre toute attente, Montaigne lui donne rendez-vous pour le lendemain. On a beaucoup épilogué sur leur coup de foudre.  « Je ne regarde plus qu’elle au monde », confie Montaigne, évoquant aussi avec nostalgie « la véhémente façon dont elle (l’)aima et (le) désira longtemps »... Il lui offre même une bague en diamants ornée de deux initiales « M » entrelacées. Mais Montaigne a cinquante-cinq ans, il est marié et Marie n’a que vingt-trois ans et une mère qui la surveille. Quoi qu’il en soit, Montaigne va se rendre plusieurs fois, cette année-là, au château de Gournay pour rencontrer celle qu’il nomme désormais sa « fille d’alliance ». Leurs échanges intellectuels aboutissent à ce que Marie note sous la dictée toutes les dernières modifications que Montaigne souhaite effectuer dans ses Essais. Ils ne se reverront plus mais continueront à s’écrire. La même année, Marie écrit Le Promenoir de Monsieur de Montaigne, un roman allégorique où elle encourage les dames à s’instruire et à ne pas tomber dans « le pestilent désastre de dépendre d’autrui ».

6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

A la mort de sa mère, Marie de Gournay, âgée de vingt-six ans, décide de réaliser sa vocation : elle part vivre seule à Paris, dans un but un peu extraordinaire pour l’époque : ne pas se marier, se consacrer à l’écriture et vivre de sa plume ! Lorsque Montaigne s’éteint, le 15 septembre 1592, en lui léguant sa célèbre bibliothèque, elle s’abandonne au désespoir : « J’étais sa fille, je suis son sépulcre, j’étais son second être, je suis ses cendres », écrit-elle. Mais Françoise de Montaigne, la veuve de l’écrivain, lui confie une mission : réaliser la première édition posthume des Essais. Marie se lance alors dans l’immense tâche, effectuant les corrections et ajouts souhaités par le célèbre écrivain et rédigeant une longue préface.

6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

Son activité littéraire ne s’arrête pas là. Comme elle en avait rêvé, elle  devient femme de lettres ! Elle va écrire une quarantaine d’essais, un roman et publier une multitude de traductions d’auteurs latins. Elle écrit même, à l’usage du futur Louis XIII, un Abrégé d’éducation pour le prince souverain.

6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

Pourtant, Marie de Gournay doit sans cesse lutter contre l’adversité.  Bien qu’elle fréquente de nombreux intellectuels de son temps, elle est souvent raillée pour son célibat et ses écrits où elle demande qu’on puisse reconnaître à la femme le statut d’écrivain. On dénigre aussi cette « femme savante » parce qu’elle réfute, dans certains de ses textes, les thèses de Montaigne, qu’elle juge, malgré son admiration, trop misogyne. Mais avec le temps, Marie apprend à se défendre et rédige des pamphlets contre ceux qui se moquent d’elle en la traitant de « vieille sybille ridicule ». Malheureusement, ses difficultés financières sont telles qu’elle est contrainte de travailler comme « écrivain fantôme », en prêtant sa plume à des personnalités de son époque. Admiratif de son courage, Richelieu lui accordera le privilège royal nécessaire à la publication de ses œuvres et la gratifiera, même momentanément, d’une pension royale mais elle passera l’essentiel de sa vie dans la pauvreté.

Ses deux ouvrages de références sont L’égalité des hommes et des femmes, dédié à la reine Anne d’Autriche, en 1622, et Le Grief des Dames, en 1626. Elle prône une égalité totale entre les sexes, demande l’accès des femmes à l’instruction et dénonce particulièrement les discriminations dans le domaine de la culture, en s’insurgeant contre ceux qui « dédaignent les femmes sans les ouïr et sans lire leurs écrits ».

6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...
6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

Par son choix de vie et d’écriture coûte que coûte, sa détermination à devenir une écrivaine à l’époque où la culture est refusée aux femmes, Marie de Gournay fait figure de pionnière. Désolée de constater que son siècle ne la comprenait pas, elle espérait obtenir la reconnaissance de ses écrits « dans le futur ». C’est en partie ce qui s’est produit, puisque ses deux ouvrages principaux ont été enfin republiés au XXIe siècle, même s’il a fallu quatre cents ans pour les sortir des oubliettes…

6 octobre : naissance de Marie de Gournay, qui a voulu vivre de sa plume...

Bibliographie:

-Marie de Gournay ou les témérités d'une quenouille, par Séverine Auffret, Arléa, 2008.

-Marie de Gournay, écrivaine indépendante, site histoireparlesfemmes, 2014.

-Le Combat savant de Marie de Gournay, Michèle Fogel, L'Humanité, 2004.

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14 février 2022 1 14 /02 /février /2022 13:54

            Les histoires d’amour des écrivains sont parfois hors norme. C’est pour cela qu’en ce jour de Saint-Valentin, j’ai envie de vous en raconter quelques-unes,  dont le point commun n’est autre que : l’amour se moque des préjugés...

 

           Montaigne, 55 ans, Marie de Gournay, 23 ans… 

Lorsque l’année de ses dix-huit ans, Marie, jeune fille très intellectuelle et féministe pour son époque, découvre les Essais de Montaigne, elle est tellement envoûtée par l’œuvre qu’elle ne rêve plus que de rencontrer… l’homme. Ce n’est que cinq ans plus tard qu’elle lui écrit enfin ; Montaigne la voit dès le lendemain. Leur histoire ?  Je ne regarde plus qu’elle au monde, confiera-t-il ! Quant à ses sentiments  à elle, Montaigne évoquera avec nostalgie  la véhémente façon dont elle (l’)aima et (le) désira longtemps...

Montaigne.jpg

 Car Montaigne est marié et Marie a une mère qui la surveille. Les amoureux doivent donc se résoudre à la séparation. Pour se consoler, Montaigne, même s’il avoue l’aimer plus que paternellement,  fera d’elle sa «  fille d’alliance ». Ils ne se verront plus mais continueront de s’écrire. Et à la mort du grand écrivain, ce sera elle qui publiera la première édition posthume des Essais.

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Diderot et Sophie Volland : le grand amour à la quarantaine …

Il a 41 ans, il est marié, il travaille à l’Encyclopédie ; elle a 38 ans, elle est ce que l'on nomme une « vieille fille ». Elle s’appelle « Louise-Henriette » mais Diderot la rebaptise « Sophie », du nom du personnage de sa pièce, Le Fils naturel. Leur relation passionnée dure cinq ans. Mais un jour, drame ! Madame Volland surprend les amoureux ensemble, et surcroît de malchance, Madame Diderot découvre une lettre de Sophie à son mari. Alors, tombe le verdict : Madame Volland emmène Sophie sur ses terres et Madame Diderot menace, en cas de divorce, d’interdire à Diderot de voir Angélique, sa fille chérie !

diderot.jpg

 C’est à partir de ce moment que Diderot développe la métaphore d’Héloïse et Abélard pour évoquer leur amour. Les deux amants n’ont plus qu’une solution pour continuer à communiquer : s’écrire ! Ce qui nous a valu une des plus belles correspondances de la littérature française, les Lettres de Diderot à Sophie Volland. Et aussi de sublimes mots d’amour :

Avec vous, je sens, j’aime, j’écoute, je regarde, je caresse, j’ai une sorte d’existence que je préfère à toute autre. Si vous me serrez dans vos bras, je jouis d’un bonheur au delà duquel je n’en conçois point. Il y a quatre ans que vous me parûtes belle ; aujourd’hui je vous trouve plus belle encore ; c’est la magie de la constance, la plus difficile et la plus rare de nos vertus 

peintre marie Gabrielle CarpetFaute de portrait de Sophie Volland, j'utilise le portrait d'une dame du XVIIIe, Marie-Gabrielle Carpet, artiste peintre...

Quant aux lettres de Sophie ? Perdues…  Ils mourront à cinq mois d’intervalle l’un de l’autre.

 Laure de Berny, 45 ans, Honoré de Balzac, 23 ans…

L’année de ses 22 ans, Balzac tombe amoureux de Laure de Berny. Qui est donc cette dame pour laquelle le jeune Honoré va éprouver la grande passion de sa jeunesse ? Née douze ans avant la Révolution française, elle est la fille du professeur de harpe de la reine Marie-Antoinette ;  notons au passage qu’elle a un an de plus que la mère de Balzac et a mis au monde neuf enfants… Quant à Balzac, grand lecteur de Rousseau, aurait-il reconnu en Laure une nouvelle Madame de Warens ? Pendant longtemps, Laure de Berny repousse les déclarations enflammées d’Honoré,  qui n’a qu’un seul souhait : Etre célèbre et être aimé… Mais, en 1822, elle finit par s’abandonner à ce grand amour, qui va faire scandale. Elle sera pour Honoré une mère (la mère de Balzac avait trente-deux ans de moins que son époux et n’avait jamais manifesté de tendresse à Honoré, né de son mariage malheureux, alors qu’elle chérissait son autre fils, qu’elle avait eu avec son amant... pauvre Honoré…), une confidente, une amie, une conseillère, une maîtresse et un soutien. Pendant la douzaine d’années que durera leur liaison, elle l’introduit dans tous les milieux qu’il décrira ensuite dans ses romans. 

Honore-de-Balzac.jpg

Celle que Balzac surnomma « La Dilecta » (l’aimée), sera aussi sa muse : elle servira de modèle à Madame de Mortsauf dans le roman, en grande partie autobiographique, Le Lys dans la vallée, qu’elle aura d’ailleurs le bonheur de lire peu avant sa mort : Elle fut non pas la bien aimée, mais la plus aimée…  Le lys, c’était elle… Puis, elle inspirera aussi le personnage de Madame de Bargeton, dans Les Illusions perdues. Après la mort de Laure, Balzac écrira :

madame de Berny

 « La personne que j’ai perdue était plus qu’une mère, plus qu’une amie, plus que toute créature peut être pour une autre (…). Elle m’avait soutenu de parole, d’action, de dévouement pendant les grands orages. Si je vis, c’est par elle. Elle était tout pour moi... »

 

 George Sand et Jules Sandeau : quand l’amour fait naître une écrivaine…

On connaît les amours tumultueuses de George Sand avec Alfred de Musset ou Frédéric Chopin. Mais on oublie trop souvent de parler de sa liaison avec Jules Sandeau. Elle revêtit pourtant une importance capitale dans la vie de l’écrivaine car elle fut à l’origine de la métamorphose qui transforma Aurore Dupin en George Sand !

GEORGESAND.jpg

Après neuf ans de mariage avec Casimir Dudevant, dont elle a deux enfants, Aurore Dupin fait scandale en quittant son époux pour suivre à Paris son jeune amant, Jules Sandeau, alors âgé de dix-neuf ans. Tous deux, ils donnent au Figaro des articles signés « J. Sand », puis écrivent ensemble deux romans, Le Commissionnaire  (1830) et Rose et Blanche (1831). C’est à cette époque que la romancière commence à porter des habits d’homme.

gsLa raison ? Son époux lui a « coupé les vivres » et porter un vêtement masculin coûte bien moins cher que se revêtir des robes compliquées des dames de cette époque. sandeau.jpg

Au fur et à mesure qu’Aurore devient plus célèbre,  la liaison avec Sandeau se dégrade. Mais Aurore continuera pourtant à utiliser leur pseudonyme ; en 1832, elle écrit seule Indiana et signe « G. Sand » ; c’est un immense succès ! L’an d’après, lorsqu’elle publie Lélia, autre « best-seller » condamnant le mariage, Aurore (qui quitte Jules Sandeau) a définitivement adopté  le nom de George (sans « s ») Sand !

 

 Marguerite Duras et Yann Andréa : 38 ans de différence...

Elle l’a racontée dans son livre Yann Andréa, en 1992. Il l’a  racontée dans son livre, Cet amour-là, en 1999.  Quoi ? Me demanderez-vous.

Leur extraordinaire histoire d’amour. 

La plus étonnante, sans doute, de toutes celles que je viens d'évoquer... dur 4L’année de ses vingt ans, lorsque Yann Andréa découvre le livre de Marguerite Duras, Les Petits chevaux de Tarquinia, il n’est rien moins que subjugué. Deux ans plus tard, lors de la projection du film de Marguerite Duras, Indian Song, il parvient à faire connaissance avec elle, ils vont boire un pot ensemble.  Il lui écrira ensuite de nombreuses lettres,  elle ne répond jamais. Mais le jour où, en 1980,  il cesse de lui écrire, Marguerite s’inquiète. Et cette fois, c’est elle qui lui écrit. La suite ? 16 ans de vie commune, jusqu’à la mort de Marguerite Duras. Il a alors 28 ans et elle, 66 ! 

  dur 5

Yann Andréa se consacrera entièrement à Marguerite ; quant à elle, elle le métamorphosera en personnage littéraire et en héros de film…   dur1.jpg

 

Si vous êtes seul(e), trahi(e), abandonné (e), bref, si vous ne croyez plus à l’amour… espérons que la lecture de ces lignes vous aura un peu remonté le moral en ce jour de Saint Valentin...

Lisez la pièce de théâtre musical JANUS ISTANBUL

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6 décembre 2021 1 06 /12 /décembre /2021 13:12

Article publié le 12 décembre 2021 dans Le petit Journal d'Istanbul...

 https://lepetitjournal.com/istanbul/communaute/bicentenaire-flaubert-les-frasques-de-gustave-istanbul-326792

 

Né le 12 décembre 1821 à Rouen, Gustave Flaubert, comme de nombreux écrivains de cette époque, est animé dès l’enfance par le désir de partir en Orient. C’est l’année de ses vingt-huit ans qu’il réalise son rêve, car, si le voyage en Orient faisait partie de ses grands mythes personnels, il obéit aussi à une nécessité plus profonde. Flaubert a perdu son père, sa sœur, son meilleur ami, son livre La Tentation de Saint-Antoine a été jugé impubliable et il vient de vivre une rupture douloureuse avec sa maîtresse, « la Muse », Louise Colet. « J’ai en moi, au fond de moi, un embêtement radical, intime, âcre et incessant, qui m’empêche de rien goûter et qui me remplit l’âme à la faire crever », dit-il de lui-même. C’est pourquoi, au grand dam de sa mère, avec laquelle il vit, il décide, pour oublier, de partir avec Maxime du Camp :  « Je vais faire un voyage dans tout l’Orient. J’étais né pour y vivre… » écrit-il peu avant son départ.

Portrait de Flaubert à 28 ans... (daguerréotype)

Après avoir traversé l’Egypte, la Palestine, le Liban et la Syrie, Flaubert arrive à Istanbul le 13 novembre 1849 et, d’après son journal, y reste jusqu’au 16 décembre. Ses visites touristiques suivent les sentiers battus des voyageurs français : derviches hurleurs de Scutari, derviches tourneurs de Galata, Eaux-Douces d’Asie, grandes mosquées d’Istanbul, spectacles en français, séances de narguilé, voyage en caïque à la résidence d’été des ambassadeurs de France à Tarabya.

 

Mais s’il aime les cimetières dans lesquels il se promène à cheval, trouve « charmante » la mosquée de Soliman et s’extasie sur les murailles de Constantinople, « les murailles de Constantinople ne sont pas assez vantées, c’est énorme ! », peu de lieux  trouvent vraiment grâce à ses yeux. Il décrit Sainte-Sophie comme un « amalgame disgracieux de bâtiments » et le palais de Topkapi comme un magasin de brocante : « c’est enfantin et  caduc, on y sent l’influence de je ne sais quel Versailles éloigné, apporté là par je ne sais quel ambassadeur à perruque. »

 

En réalité, les sites touristiques ne sont pas ce qui intéresse le plus Flaubert. La lecture en parallèle de son journal et de ses lettres est édifiante car il ne raconte pas dans le premier -dont il destine peut-être la lecture à de tierces personnes-, ce qu’il confie dans ses missives à son ami intime, Louis Bouilhet. Les lettres montrent que, comme dans les autres pays qu’il a traversés, Flaubert cherche surtout à se perdre dans les bas-fonds de Constantinople, pour s’y encanailler le plus possible, en écumant tous les bouges de Galata, alors quartier des maisons closes.

 

Ce qu’il raconte est choquant pour une sensibilité moderne car, bien que fils de médecin ayant grandi dans l’hôpital de Rouen, il n’hésite pas à avoir des relations sexuelles avec des filles de quinze ans sans jamais de soucier de leur transmettre sa syphilis - il décrit soigneusement l’évolution de ses chancres-, ou d’assister à d’équivoques spectacles de danse du ventre donnés, selon sa propre expression, par des « bambins » travestis ; comme si le fait de se trouver loin de sa Normandie natale rendait licite ce qui ne l’était pas dans son propre pays. On sait bien que littérature et morale n’ont jamais fait bon ménage… mais ses écrits d’Orient couraient aujourd’hui le risque d’être frappés d’anathème…

Bicentenaire Flaubert : les frasques de Gustave à Istanbul

En ce qui concerne les femmes turques, Flaubert est fasciné par leur voile. « Comme leurs yeux brillent ! » dit-il et il aimerait bien « vivre avec une odalisque ravie ». En bon misogyne de son époque, il n’hésite pas à écrire : « Dans cent ans, le harem sera aboli en Orient, l’exemple des femmes européennes est contagieux, un de ces jours, elles vont se mettre à lire des romans. Adieu, la tranquillité turque ! »…

 

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30 mai 2021 7 30 /05 /mai /2021 10:27

Un salon littéraire exceptionnel, animé par Yigit Bulut,  a eu lieu jeudi 28 avril 2021, sur Zoom, à l’Institut français d’Istanbul : une rencontre avec Amin Maalouf, si aimé en Turquie qu’il y a vendu deux millions de livres depuis 1995 ! Quel est donc le message que nous délivre le célèbre écrivain et académicien dans son nouveau roman,  Nos frères inattendus ?

Rencontre avec Amin Maalouf à l’Institut français de Turquie

Un roman métaphorique

Le roman Nos frères inattendus, paru en 2020 chez Grasset, traduit en turc par Ali Berktay aux Editions YKY, sous le titre Empedokles’in Dostları (Les Amis d’Empédocle), fait suite à l’essai Le Naufrage des civilisations (Grasset, 2019) dont il constitue le prolongement : « Ce sont deux livres qui viennent de la même inspiration », confirme l’auteur.

Le roman se passe sur une île où habitent séparément deux personnages un peu misanthropes, le narrateur, un dessinateur, et une romancière qui a voulu s’isoler du monde, lorsque survient une panne de courant qui leur fait craindre une guerre nucléaire. Mais ils découvrent qu’en réalité, un événement extraordinaire est en train de se produire : le président des Etats-Unis annonce que des négociations sont en cours avec une autre humanité venue de l’Antiquité, qui présente la caractéristique d’être supérieure technologiquement, en particulier en médecine, mais surtout, plus évoluée moralement et dotée d’une immense capacité de bienveillance ! Cette humanité, appelée « Les Amis d’Empédocle », qui nous démontre que toutes nos connaissances sont obsolètes, a vécu cachée à l’écart des êtres humains, n’a jamais voulu intervenir dans leurs affaires, sauf si les habitants s’égaraient au point d’être sur le point de sombrer… Le roman pose donc une question fondamentale : qu’arriverait-il au monde si une civilisation supérieure à la nôtre, non seulement du point de vue technologique mais surtout du point de vue moral, apparaissait ?

Rencontre avec Amin Maalouf à l’Institut français de Turquie

Qui était Empédocle ?

Empédocle était un philosophe présocratique, connu pour avoir refusé la royauté que lui proposaient les  habitants d’Agrigente.  Il a beaucoup inspiré les penseurs depuis le XIX siècle, en particulier par sa mort romanesque. La légende raconte, en effet, qu’il se serait suicidé en se jetant dans le cratère de l’Etna, en abandonnant ses sandales sur le bord.

Rencontre avec Amin Maalouf à l’Institut français de Turquie

« Les romans naissent des manquements de l’Histoire », disait Novalis

Selon Amin Maalouf, nous avons aujourd’hui tout le savoir de l’humanité au bout des doigts et tous les moyens de débarrasser l’espèce humaine des fléaux qui l’assaillent. Cependant, en dépit de cet extraordinaire développement économique, scientifique et matériel, nous n’avons pas progressé moralement. « On n’a pas réussi à organiser des relations harmonieuses entre les humains », regrette-t-il. Nous sommes dans un monde qui ne vit pas sereinement car il existe un hiatus entre ce formidable développement et l’évolution des mentalités. « J’aurais voulu que … la puissance matérielle soit soumise aux valeurs morales... », ajoute-t-il.

La publication de ce roman, écrit avant la pandémie, avait été retardée mais en le relisant, l’auteur a réalisé qu’il y avait concordance entre sa fiction et les événements. Car cette crise a été révélatrice de la réalité du monde, a prouvé que toutes les sociétés sont reliées ; les pays riches ont été autant affectés que les pays pauvres, tout ce qui arrive aux autres peut arriver chez nous. Mais en même temps, on s’est aussi rendu compte qu’on est toujours dans le « chacun pour soi », on l’a vu dans la crise des masques entre les pays européens…

Rencontre avec Amin Maalouf à l’Institut français de Turquie

L’espoir comme ultime bouée de sauvetage

Il y a des périodes où l’humanité n’arrive pas à trouver de solutions. Pourtant, elle a l’obligation d’en inventer une, sinon, comme le Titanic, elle heurtera un iceberg, coulera pendant que jouent les violons et ne trouvera la solution qu’après le naufrage. Amin Maalouf cite en exemple les « Lumières levantines », ce monde multiculturel qui a existé à Antioche, Alep, Izmir, Istanbul, Salonique ou Sarajevo mais qui a, en grande partie, disparu. L’univers unique de ces villes  incarnant la pluralité a été détruit, non par une volonté explicite mais plutôt par l’absence de volonté de préserver cette richesse. Personne n’a compris à quel point ces sociétés où juifs, chrétiens et musulmans vivaient en harmonie étaient importantes, jusqu’à ce qu’elles disparaissent… Car « les tentatives d’homogénéisation incarnent de fausses valeurs », commente-t-il ; à l’inverse, les pays qui traitent leurs minorités comme la majorité sont en bonne santé ;  ce qui est important dans un pays, c’est donc que chaque citoyen se sente pleinement citoyen…

En conséquent, il s’impose de rétablir l’espoir, en conservant le souci de ne pas avoir de populations ayant perdu foi en leur avenir. Mais d’où peut venir cet espoir ? « Il faudra imaginer un nouvel ordre mondial où chacun aura sa voie… rebâtir une idéologie qui ne repose pas sur la tyrannie d’une civilisation…  où toutes les cultures pourront se propager dans le monde », conclue le célèbre humaniste...

 

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22 mai 2021 6 22 /05 /mai /2021 12:31

 

Le célèbre poète français Victor Hugo était déjà très célèbre pour ses poèmes et ses pièces de théâtre quand, à la trentaine, en 1833, il fait connaissance une actrice, Juliette Drouet, qui joue dans sa pièce Lucrèce Borgia.

De cette première rencontre, marquée par un coup de foudre réciproque, va naître une liaison amoureuse qui durera 50 ans ! C’est pour elle que Victor Hugo, composera, sa vie durant, ses plus poignants poèmes d’amour. 

« Mon âme à ton cœur s’est donnée, lui écrit-il.

-  Je fais tout ce que je peux pour que mon amour ne te dérange pas.

Je te regarde à la dérobée.  Je te souris quand tu ne me vois pas, » lui répond-elle.

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…
Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…

Chaque année durant cinquante ans, Victor Hugo envoie le 22 mai, jour de la Sainte-Julie, une lettre d’amour à Juliette pour sa fête :

« Cher doux ange, ma première pensée est pour toi. Je t’écris de mon lit en m’éveillant. Je commence ma journée comme je finirai ma vie, en t’envoyant mon âme. J’entends le tambour, tout le quartier est en rumeur, il fait le plus beau sommeil du monde, Paris se donne une fête, mais la vraie fête est dans mon cœur quand je songe à toi… » (Lettre du 22 mai 1848)

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…

Dès leur rencontre, Juliette va passer toute son existence dans l’ombre de Victor  Hugo. En effet, ce dernier, marié, continuera toujours à vivre avec son épouse et ses cinq enfants. Aussi Juliette habitera-elle tout le temps, au fil de nombreux déménagements, dans une rue proche de celle de son amant. Par amour pour lui, à sa demande, elle renonce au théâtre ! Elle accepte de ne plus porter de tenues trop voyantes et de ne plus sortir de chez elle, sauf en sa compagnie ! A quoi occupe-t-elle ses journées lorsqu’elle ne voit pas Victor ? Elle recopie les manuscrits du grand écrivain ! Elle sera toujours sa première lectrice et sa conseillère littéraire. Et elle lui écrit des lettres d’amour. Plusieurs par jour. Elle lui en adressera plus de 20000 !

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…

Juliette Drouet endure tout. En particulier les multiples infidélités de son amant. Car les femmes, qui tombent amoureuses de Hugo rien qu’en lisant ses poèmes, ne cessent d’occuper la vie du poète. Il a même fait aménager au domicile conjugal une porte secrète pour y recevoir ses maîtresses. Plusieurs fois, Juliette le quittera. Mais Victor ira à chaque fois la rechercher en lui répétant une promesse solennelle : « Nos deux vies se sont soudées à jamais. » 

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…

 

En 1851, lorsque Napoléon III prend le pouvoir, la vie de Victor Hugo, républicain et farouche opposant politique de l’empereur, est en danger. Toutes les forces de la police impériale sont à sa poursuite. Juliette le cache, lui procure un faux passeport et lui permet de passer la frontière. C’est elle aussi qui sauve la fameuse « malle aux manuscrits » contenant toutes les œuvres de Hugo. Et ce dernier prend, avec sa famille, la route d’un exil qui durera dix-neuf ans, sur l’île anglo-normande de Guernesey. Bien sûr, Juliette le suit dans ce petit morceau de terre perdu dans l’Atlantique et s’installe de nouveau dans une rue à côté de la sienne ! Elle ne le quittera Guernesey que lorsque, après la chute du Second Empire, son célèbre amant rentrera enfin en France.

Hugo à Hauteville House...
Hugo à Hauteville House...

Hugo à Hauteville House...

Juliette Drouet à Guernesey

Juliette Drouet à Guernesey

Toute leur vie, Victor Hugo et Juliette ont tenu un cahier rouge appelé « Le livre de l’anniversaire » où ils ont chaque année écrit un texte célébrant l’anniversaire de « la nuit bénie », c'est-à-dire leur première nuit d’amour, le 16 février 1833. Ce jour-là, Victor Hugo avait noté :

« Le 26 février 1802,  je suis né à la vie, le 16 février 1833, je suis né au bonheur dans tes bras. La première date, ce n'est que la vie, la seconde c'est l'amour. Aimer, c'est plus que vivre... »

Et le 16 février 1883, il écrit : « Cinquante ans d’amour, c’est le plus beau des mariages. ».

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…

Juliette mourra cette année-là, deux ans avant Victor.

Sur sa tombe, il fera graver l’épitaphe suivante :

 

« Quand je ne serai plus qu’une cendre glacée,

Quand mes yeux fatigués seront fermés au jour,

Dis-toi, si dans ton cœur ma mémoire est fixée :

Le monde a sa pensée, moi, j’avais son amour ! »

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…

Quant à Victor, c’est bien un 22 mai, jour emblématique où chaque année il abreuvait Juliette de lettres d’amour, qu’il s’éteint en 1885..

Victor Hugo, mort le 22 mai, le jour de la fête de sa muse…
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15 avril 2021 4 15 /04 /avril /2021 10:51

L’évènement littéraire de ce début de printemps 2021 en Turquie est la sortie du roman d’Orhan Pamuk Veba Geceleri, soit, Les Nuits de la Peste (pas encore traduit en français).

Le célèbre écrivain a publié ces derniers jours une série de vidéos dans lesquelles il présente sa nouvelle œuvre à ses lecteurs. C’est pourquoi j’ai écrit cette petite synthèse de ses commentaires pour ceux et celles de ses lecteurs qui ne parlent pas le turc…

Cet article a été publié dans Le Petit Journal d'Istanbul le 28 avril 2021...

https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/decouvrez-les-nuits-de-la-peste-le-nouveau-roman-dorhan-pamuk-303986

Les Nuits de la Peste, nouveau roman d'Orhan Pamuk

Un roman sur une épidémie de peste

Il se passe dans l’île ottomane imaginaire de  Minger, en 1901, dont la population est moitié musulmane, moitié chrétienne, lors d’une épidémie de peste appelée « la troisième pandémie de peste ».  Orhan Pamuk a voulu relier des événements historiques réels à des héros nés de son imagination. A partir de la deuxième moitié du roman, dit-il, le roman prend des allures de conte… Orhan Pamuk définit son œuvre comme un roman d’amour, un roman policier et un roman historique. Il pense qu’à ce titre, il offre un dernier panorama de l’Empire ottoman.

Des héros imaginaires

Tous les héros du roman sont imaginaires et le romancier crée trois couples emblématiques de son histoire :

-Le préfet de l’île de Minger, Salih Pacha et sa maîtresse cachée Marika.

-Le jeune officier Kamil natif de l’île, qui est tombé amoureux de Zeynep et souhaite l’épouser.

-La sultane Pakize, troisième fille du sultan Murat V, enfermé au palais de Ciragan ; elle est mariée avec le spécialiste des quarantaines, le docteur Nuri , que le sultan Abdulhamit II, qui est aussi un des héros du roman (réel, celui-là), envoie sur l’île de Minger pour combattre la peste.

Orhan Pamuk explique qu’au-delà des faits de l’épidémie, son souci était de traduire le monde sentimental et spirituel des héros face à la pandémie. Car la force de l’amour va parfois se trouver en butte à la peur de la mort qui va être plus forte que le romantisme...

 Les conditions d’écriture du roman : une pandémie survient alors qu’il était en train de décrire une pandémie !

« Ce que j’ai écrit dans mon roman était devenu vrai… »

Ce roman, auquel il pensait depuis quarante ans, lui a demandé cinq ans de travail. Il explique que lorsqu’il a commencé le livre, tout le monde lui demandait pourquoi il avait choisi ce sujet puisque les épidémies appartenaient au passé ; il répondait que l’on pouvait trouver des similitudes avec le monde moderne dans  la coercition exercée par les pachas pour imposer la quarantaine. Puis, l’apparition de la pandémie de Covid-19 l’a bouleversé ! Il travaillait depuis plus de trois ans sur un sujet qui lui était propre et soudain, le sujet lui échappait et devenait celui de tout le monde. Il s’est alors vite rendu compte que la pandémie de Covid-19 renvoyait aux mêmes angoisses que celles qu’il décrivait dans son roman, comme les doutes sur l’origine de la maladie, la peur de la mort, le confinement forcé, le couvre-feu, les hôpitaux et les cimetières débordés… et il a donc retravaillé son roman en fonction de cette nouvelle expérience…

Les Nuits de la Peste, nouveau roman d'Orhan Pamuk

Ce que la pandémie de Coronavirus a apporté à son roman

Tout le monde lui a posé la question :

-Est-ce que l’épidémie de Coronavirus t’a appris quelque chose ?

-Oui, a-t-il répondu, la peur, la peur de la mort !

« J’avais compris cette peur en lisant les livres mais je ne l’avais pas vraiment imaginée. Car on n’apprend pas la peur de mourir dans une épidémie dans les livres… A cause de cela, j’ai terminé le roman dans l’émotion et l’urgence », explique-t-il.

 

Les Nuits de la Peste, nouveau roman d'Orhan Pamuk

Une immense recherche documentaire

Le grand écrivain qualifie la multitude de recherches qu’il a dû effectuer par la métaphore de « creuser un puits avec une aiguille ». Il a consulté des livres d’histoire, de science, des brochures, des journaux de cette époque. Il explique qu’il a acquis des connaissances « encyclopédiques » sur les efforts de modernisation de l’Empire ottoman dans ses institutions, en parlant de sujets peu connus, la pharmacie, le fonctionnement des anciens hôpitaux, postes, prisons, forteresses. Il y analyse aussi les relations entre deux frères qui ont chacun été sultan,  Murat V et Abdülhamid II, qui au début s’entendent mais ensuite deviennent ennemis, l’un tenté par la modernisation, l’autre par le conservatisme.

Orhan Pamuk a aussi consulté d’anciennes photos et cartes postales. Rappelant que dan sa jeunesse, il voulait devenir peintre, ce roman lui a donné l’occasion de faire de multiples dessins, celui de la couverture et d’autres qu’il utilise dans ses vidéos.

Les Nuits de la Peste, nouveau roman d'Orhan Pamuk

Que peut-on observer de semblable ou de différent dans les pandémies ?

Au final, quelle que soit l’époque et le lieu, les réactions du peuple face à l’épidémie sont semblables. D’abord les états n’acceptent pas et nient, et pendant ce temps, l’épidémie s’est répandue ; ensuite, se répandent les rumeurs, les commérages, les accusations, les soupçons des complotistes ; les états se replient sur eux-mêmes et favorisent la nationalisme ; puis, les commerçants se dressent contre le confinement qui ruine leurs affaires et éclatent des émeutes contre les quarantaines, si bien que le pouvoir devient de plus en plus autoritaires et répressif . Mais bien sûr, la grande différence est qu’une personne sur trois mourait de la peste , les médecins ne tentaient que de soulager les douleurs alors que la plupart des gens qui attrapent le Covid 19 s’en sortent. Mais la peur est commune. C’est parce que les gens ont peur qu’ils obéissent aux ordres de confinement. D’ailleurs, Orhan Pamuk plaisante en conseillant pas aux lecteurs de lire son livre la nuit car d’un certain côté, c’est un roman d’épouvante !

Les Nuits de la Peste, nouveau roman d'Orhan Pamuk

Le livre renferme-t-il des allusions politiques ?

Citation résumée : « Je  n’ai pas hésité à faire des renvois à la politique d’aujourd’hui mais le  but d’un roman sur lequel vous avez réfléchi pendant 40 ans ne peut pas être de critiquer le gouvernement du moment ! » commente-t-il .Certes, il est possible que sur la colère contre le pouvoir à cause du couvre-feu, le nationalisme, la laïcité, l’islam politique, la liberté d’expression, les minorités, on puisse trouver des ressemblances avec la situation d’aujourd’hui mais ce n’est pas le but du roman… »

*

On attend avec impatience la traduction en français. Il ne fait aucun doute que le roman Les Nuits de la Peste s’annonce comme un chef-d’œuvre et qu’il se rangera dans les grands classiques utilisant l’épidémie comme allégorie, comme La Peste de Camus, le Hussard sur le toit, de Giono ou Némésis, de Philipp Roth…

 

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12 décembre 2020 6 12 /12 /décembre /2020 16:08

Il naquit à Rouen le 12 décembre 1821, à quatre heures du matin, Gustave !

Image--12-.jpgLa chambre natale de Flaubert sur une carte postale

  C’est en 1831 qu’il commence à écrire :

Si tu veux nous associer pour écrire, moi, j’écrirai des comédies et toi tu écriras tes rêves, et comme il y a une dame qui vient chez papa et qui nous conte toujours de bêtises, je les écrirai,  écrit-il à son ami  Ernest Chevalier.

Quelques citations que j’aime, extraites de sa correspondance à Louise Colet :

31 aout 1846 : J’ai la peau du coeur, comme celle des mains, assez calleuse : ça vous blesse quand on y touche ; le dessous peut-être n’en est que plus tendre.

23 octobre 1846 : Le bonheur est un usurier qui, pour un quart d’heure de joie qu’il vous prête, vous fait payer toute une cargaison d’infortunes.

Image--13-.jpgLe pavillon de Croisset sur une carte de 1906

20 décembre 1846 : J’ai en moi, au fond de moi, un embêtement radical, intime, âcre et incessant, qui m’empêche de rien goûter et qui me remplit l’âme à la faire crever. Il reparaît à propos de tout, comme les charognes boursouflées des chiens qui reviennent à fleur d’eau, malgré les pierres qu’on leur a attachées au cou pour les noyer.

rouen.jpgLa statue de Flaubert à Rouen (carte postale)

31 janvier 1852 : Je suis un homme-plume. Je sens par elle, à cause d’elle, par rapport à elle et beaucoup plus avec elle.

6-copie-1.jpg

La statue de Flaubert à Trouville (carte postale)

24 avril 1852 : J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre.

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L’encrier  et les pipes de Flaubert sur le magnifique site  de Jean-Benoît Guinot, auteur en 2010 du passionnant  Dictionnaire Flaubert :  http://jb.guinot.pagesperso-orange.fr

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19 septembre 1852 : J’ai plus de livres en tête que je n’aurai le temps d’en écrire d’ici à ma mort.

21 mai 1853 : Mais il ne faut jamais penser au bonheur ; cela attire le diable, car c'est lui qui a inventé cette idée-là pour faire enrager le genre humain.

Flaubert.jpgCarte postale ancienne commémorant la naissance de Flaubert

                    Je terminerai par une phrase en turc : İyi ki doğdun, Gustave !

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15 mai 2020 5 15 /05 /mai /2020 12:49

A la recherche du Temps perdu commence dans une chambre où l’on se réveille de bonne heure et se termine sur la chambre du Temps… En effet, la chambre est une sorte de métonymie de l’écriture de Marcel Proust (1871-1922) ; « chapelle mystérieuse », elle occupe une place prépondérante d’un bout à l’autre de l’œuvre.

Reconstitution de la chambre de Proust au Musée Carnavalet

Reconstitution de la chambre de Proust au Musée Carnavalet

Asthmatique dès l’âge de neuf ans, Marcel Proust est un enfant couvé par ses parents ; son père, Adrien Proust, célèbre professeur de médecine, est conseiller du gouvernement pour les épidémies. Pour éviter au petit Marcel les crises d’allergies, on lui interdit les sorties à la campagne mais il effectue des séjours au bord de l’eau, en Normandie, en particulier à Trouville et Cabourg.

Après la mort de ses parents, la santé de Proust se détériore encore et il va s’enfermer pendant quinze ans, pour lutter contre l’asthme mais surtout pour écrire.

Vous pouvez deviner dans quelle détresse je me trouve, écrit Proust à une amie, vous qui m’avez vu les oreilles et le cœur toujours aux écoutes vers la chambre de Maman où sous tous les prétextes je retournais sans cesse l’embrasser, où maintenant je l’ai vue morte, heureux encore d’avoir pu l’embrasser encore. Et maintenant la chambre est vide et mon cœur et ma vie…

Se confiner pour écrire : Marcel Proust et sa chambre de liège

Obligé de déménager,  il sous-loue à sa tante un appartement au 102, Boulevard Hausmann et s’y installe en 1906. Pour écrire sans être dérangé, il fait tapisser sa chambre de plaques de liège qui amortissent les bruits, n’ouvre pas les volets et ferme hermétiquement les tentures de satin bleu. D’ailleurs, généralement, il vit la nuit et dort le jour, se nourrit peu mais, pratiquant l’automédication, abuse de café, de sédatifs comme le célèbre Véronal de l’époque mais aussi de morphine, alors en vente libre, qu’il s’injecte lui-même pour calmer son asthme.

La pièce est glacée car, malgré sa frilosité,  il refuse que l’on allume le chauffage, redoutant de dessécher l’atmosphère. Cloîtré pour écrire, il se déclare « marié avec son œuvre ».  

Se confiner pour écrire : Marcel Proust et sa chambre de liège

Moi, l'étrange humain qui, en attendant que la mort le délivre, vit les volets clos, ne sait rien du monde, reste immobile comme un hibou et comme celui-ci ne voit un peu clair que dans les ténèbres. Sodome et Gomorrhe, 1921

Céleste Albaret, la gouvernante mais aussi confidente, qui a partagé les huit dernières années de sa vie, a témoigné en 1970 sur le mode de vie de Proust au moment où il est en pleine élaboration de son œuvre. Il écrit allongé, les genoux relevés, le manuscrit posé sur les genoux, enveloppé dans des couvertures. A côté du lit,  sur une petite table en palissandre, se trouvent son encrier et une quinzaine de porte-plume avec des plumes sergent-major. Il ne sort plus que la nuit, rarement, emmitouflé dans un manteau à col de loutre et doublé de vison, pour aller dîner au Ritz ou partir en quête de brèves aventures amoureuses.

C’est Céleste qui donne à Proust l’idée des fameuses « paperolles », des bouts de papier collés sur le texte quand l’auteur veut effectuer un ajout, et les lui confectionne.

Céleste Albaret dans la chambre de Proust

Céleste Albaret dans la chambre de Proust

En 1919, un nouveau déchirement pour l’écrivain ! Il doit encore déménager, sa tante vendant l’immeuble où il réside, et se séparer cette fois de son mobilier familial. Il s’installe de juin à octobre 1919 dans l’appartement où avait habité l’actrice  Réjane, inspiratrice du personnage de La Berma, rue Laurent-Pichat et ensuite au 44, Rue Hammelin, un « ignoble taudis », à ses dires, où il demeurera jusqu’à sa mort.

Se confiner pour écrire : Marcel Proust et sa chambre de liège

C’est Céleste qui sera le témoin de la fin de l’œuvre :

Il est arrivé une grande chose cette nuit. C’est une grande nouvelle… Cette nuit, j’ai mis le mot « fin »... Maintenant je peux mourir ... Mon œuvre peut paraître. Je n’aurai pas donné ma vie pour rien...

C’est bien dans une chambre confinée qu’est née en quinze années la « cathédrale » d’ A la recherche du Temps perdu, une des plus grandes  œuvres de la littérature mondiale ...

Se confiner pour écrire : Marcel Proust et sa chambre de liège

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7 mai 2020 4 07 /05 /mai /2020 15:39

Pour certains écrivains, le confinement n’est pas une torture mais un choix volontaire ! 

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset...

En janvier 1844, à l’âge de 23 ans, lors d’une promenade en fiacre, Flaubert est soudain terrassé par une crise d’épilepsie. Cet épisode coïncidant avec l’achat d’une maison de campagne à Croisset, la famille s’y installe en juin pour que le jeune homme puisse y effectuer sa convalescence. Adieu les études de droit qu’on souhaitait lui voir effectuer ! En réalité, pour Gustave, c’est une aubaine ! La maladie- qui d’ailleurs ne durera pas- est tombée à propos pour qu’il puisse se consacrer à son activité favorite, écrire ! Et en dépit de quelques voyages, elle lui servira de prétexte pour tracer désormais sa ligne de conduite : s’enfermer et créer !

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset...

Même la passion amoureuse ne parvient pas à l’arracher à son isolement. En juillet 1843, il rencontre la sulfureuse Louise Colet, belle poétesse qui sert de modèle au sculpteur Pradier.

 

C’est le début d’une ardente passion mais Flaubert ne cesse de repousser les rendez-vous avec Louise, qu’il trouve trop envahissante. Leur célèbre correspondance en conserve le témoignage. Louise, même si elle est mariée à cette époque, ne cesse de solliciter des rendez-vous et Flaubert multiplie les prétextes, en particulier la nécessité de s’occuper de sa mère,  pour les évincer et se consacrer à la rédaction de La Tentation de Saint-Antoine. Au début, Louise, qui n’a pas encore compris le caractère de Gustave, s’inquiète pour sa santé de « reclus ». Flaubert tente de la rassurer :

Je n’ai jamais senti ce que c’était que la fatigue intellectuelle, et il fut une année où j’ai travaillé régulièrement pendant dix mois quinze heures par jour … Quant à la fatigue physique, l’éducation m’a fait un tempérament de colonel de cuirassiers. Sans mes nerfs, partie délicate chez moi, qui me rapproche des gens comme il faut, j’aurais un peu d’affinité avec le fort de la Halle. Sois donc sans crainte, pauvre chérie ; je n’ai pas besoin d’exercice et je vis bien quinze jours sans prendre l’air ni sortir de mon cabinet. 14 octobre 1846.

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset...

Mais peu à peu, Louise comprend que Flaubert n’a qu’un désir profond : rester seul pour écrire ! Car ce dernier ne cache pas que cet amour, qu’il trouve trop passionné, est un obstacle à son travail d’écrivain :

Ce soir je me suis remis au travail, mais en m’y forçant. Depuis six semaines environ que je te connais (expression décente), je ne fais rien. Il faut pourtant sortir de là. Travaillons, et de notre mieux ; puis, nous nous verrons de temps à autre, quand nous le pourrons ; nous nous donnerons une bonne bouffée d’air, nous nous repaîtrons de nous-mêmes à nous en faire mourir ; puis nous retournerons à notre jeûne. 12 septembre 1846.

Son goût de la solitude se double d’une conception très pessimiste des relations humaines. J’ai connu peu d’êtres dont la société ne m’ait inspiré l’envie d’habiter le désert, explique-t-il à Maxime du Camp ;

Alors, bien vite, la relation se dégrade et les lettres qu’un réquisitoire de Louise alternant avec la défense de Gustave. Louise voudrait s’imposer chez son amant, mais il lui refuse l’entrée de sa maison et lui reproche sa jalousie, devenue maladive :

Est-il possible que tu me reproches jusqu’à l’innocente affection que j’ai pour un fauteuil ! 30 septembre 1846

Et tente de lui explique que l’amour ne peut occuper la première place dans sa vie :

30 avril 1847 : Pour moi, l’amour n’est pas et ne doit pas être au premier plan de la vie ; il doit rester dans l’arrière-boutique. Il y a d’autres choses avant lui, dans l’âme, qui sont, il me semble, plus près de la lumière, plus rapprochées du soleil. Si donc tu prends l’amour comme mets principal de l’existence : NON. Comme assaisonnement : OUI.

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset...

Peu à peu, la relation s’effrite jusqu’à se terminer à l’été 1848, Louise se console avec d’autres.  Flaubert la congédie manu militari le 2 août : Merci du souvenir !

Mais dès le retour du voyage en Orient de Gustave, Louise revient à la charge et la liaison reprend de juillet 1851 à mars 1855. Cette fois, la poétesse semble avoir accepté le besoin de claustration de Gustave et la tonalité des lettres a changé : ce ne sont plus des lettres d’amour mais des missives intellectuelles dans lesquelles Flaubert va décrire tout le travail de rédaction de son œuvre la plus célèbre,  Madame Bovary.

C’est en effet 19 septembre 1851 que Flaubert commence la rédaction de ce roman  pour lequel il va littéralement s’enfermer cinq ans, au point de mériter le fameux surnom d’ « ermite de Croisset ».

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset...

Je mène une vie âpre, déserte de toute joie extérieure, et où je n’ai rien pour me soutenir qu’une espèce de rage permanente, qui pleure quelquefois d’impuissance, mais qui est continuelle. J’aime mon travail d’un amour frénétique et perverti, comme un ascète le cilice qui lui gratte le ventre. 24 avril 1852

Même les relations avec son entourage lui pèsent :

22 juillet 1852 Mon frère, ma belle-sœur, mon beau-frère [...], j’ai de tout cela plein le dos. Dieu ! Que je suis gorgé de mes semblables ! [...] Quelle admirable invention du Diable que les rapports sociaux ! Ou, le 4 septembre de la même année : Je me suis réservé dans la vie un petit cercle. Mais une fois qu’on entre dedans, je devins furieux, rouge… Que ne peut-on vivre dans une tour d’ivoire ?

Gustave ne vit plus qu’à travers son roman et une petite escapade à Trouville le convainc encore davantage  qu’il n’est fait que pour rester enfermé dans sa chambre :

Loin de ma table, je suis stupide. L’encre est mon élément naturel ! Beau liquide, du reste, que ce liquide sombre ! Et dangereux ! Comme on s’y noie ! Comme il attire ! explique-t-il à Louise le 14 août 1853.

Se confiner pour écrire : Gustave Flaubert ou l’Ermite de Croisset...

D’ailleurs, les affres de la création du livre sont si intenses qu’il compare son travail  à une ascension d’alpiniste :

La perle est une maladie de l’huître et le style, peut-être, l’écoulement d’une douleur plus profonde. N’en est-il pas de la vie d’artiste ou plutôt d’une œuvre d’Art à accomplir comme d’une grande montagne à escalader ?  16 septembre 1853

Toutes les lettres de cette époque reflètent les souffrances de l’écrivain en train de créer ; Flaubert n’est plus qu’un « homme plume », comme il se qualifie lui-même, qui ne veut plus sortir de sa tour d’ivoire !

Et une fois de plus, Louise s’éloigne de lui Elle ne peut plus le comprendre. Jusqu’à ce que le 6mars 1855,  il lui écrive assez cruellement :

J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir, hier, dans la soirée, trois fois, chez moi. Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part Pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais.

 C’est de ce confinement volontaire et de cette misanthropie délibérément assumée que sont nés plusieurs chefs-d’œuvre de la littérature française !

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4 mai 2020 1 04 /05 /mai /2020 11:15

La fausse lettre de « confinement » de Madame de Sévigné diffusée sur les réseaux sociaux  (joli pastiche élaboré par Jean-Marc Banquet d’Orx, dans lequel l’épistolière écrivait à sa fille pour lui parler d’une épidémie, et si bien écrit qu’à première lecture, nombreux sont ceux et celles qui sont tombés dans le piège !) permet de rappeler, qu’en réalité, à l’époque de la marquise, et aussi au siècle suivant, on vit dans la terreur des épidémies ! En particulier celles de « La Petite Sœur », c'est-à-dire la variole, alors appelée « petite vérole ». Plusieurs fois, la marquise parle à sa fille de la maladie et lui donne des conseils pour qu’elle se tienne éloignée des lieux contaminés et ne risque pas de gâter sa beauté de  « plus jolie fille de France » !

Madame de Sévigné et les épidémies

En voilà quelques exemples :

6 mai 1671 : Mais, ma bonne, pourquoi avez-vous été à Marseille ? Monsieur de Marseille mande ici qu’il y a de la petite vérole : puis-je avoir un moment de repos que je ne sache comme vous vous portez ?

5 août 1671 : Je vous conjure, ma chère bonne, de vous bien conserver ; et s’il y avait quelques enfants à Grignan qui eussent la petite vérole, envoyez-les à Montélimar : votre santé est le but de tous mes désirs…

25 novembre 1671 : J’ai appris par mes lettres de Paris la mort de votre premier président… Je ne sais comment je n’ai pas eu l’esprit de vous conseiller ce que vous avez fait, moi qui craignais également de vous voir affronter la petite vérole à Aix, ou retourner sur vos pas à Grignan : il n’y avait qu’à ne bouger d’où vous êtes ; vous avez pris le bon parti…

18 décembre 1671 : M. de Coulanges m’attend pour m’amener chez lui, où il dit que je loge, parce qu’un fils de Madame de Bonneuil a la petite vérole chez moi. Elle avait dessein très-obligeamment d’en faire un secret, mais on a découvert le mystère…

10 février. 1672 : Ma chère fille, après bien des alarmes et de fausses espérances, nous avons perdu le pauvre Chevalier… La fièvre le prit en venant de Paris, et la petite vérole, avec une telle corruption, qu’on ne pouvait durer dans sa chambre…

13 avril 1672 : Vous m’obéissez pour n’être point grosse, je vous en remercie de tout mon cœur ; ayez le même soin de me plaire pour éviter la petite vérole…

5 février 1674 : On avait cru que Mademoiselle de Blois avait la petite vérole, mais cela n’est pas. On ne parle point des nouvelles d’Angleterre ; on juge par là qu’elles ne sont pas bonnes. On a fait un bal ou deux à Paris dans tout le carnaval ; il y a eu quelques masques, mais peu. La tristesse est grande…

24 juillet 1675 : Mme de Montlouet a la petite vérole : les regrets de sa fille sont infinis ; la mère est au désespoir aussi de ce que sa fille ne veut pas la quitter pour aller prendre l’air, comme on lui ordonne…

Madame de Grignan peinte par Mignard en 1669

Madame de Grignan peinte par Mignard en 1669

On voit que les épidémies sont une constante préoccupation pour la marquise. Car si tout le monde ne meurt pas de la maladie, dont la létalité est très élevée, ceux qui en réchappent restent marqués à vie ! Mademoiselle de Lespinasse, la Princesse Palatine, Mirabeau, font partie des « grêlés » ! Louis XIV, Voltaire, Chateaubriand, Goethe, contractèrent la maladie mais sans en conserver les stigmates.

Madame de Sévigné a-t-elle eu le pressentiment que la variole causerait des ravages dans sa famille ?  Car la petite vérole emporta non seulement l’épistolière en personne à Grignan en 1696, mais aussi son petit-fils Louis-Provence de Grignan en 1704 et sa fille Françoise 1705 à Marseille !

De quelques « grêlés » célèbres…

 

Lorsque Julie de Lespinasse, après avoir quitté le salon de Madame du Deffand, s’installe dans la demeure où elle passera les douze dernières années de sa vie, se produit un événement tragique : elle contracte la petite vérole ! Elle avait refusé l’inoculation, croyant déjà avoir attrapé la variole dans sa jeunesse. C’est D’Alembert, qui, au mépris de la contagion, se met à la veiller jour et nuit : « Elle est assez marquée de la petite vérole, écrit-il à Hume, mais sans en être défigurée le moins du monde »… Puis, il tombe malade lui-même, frôle la mort et c’est au tour de Julie de le veiller : «  Il faut, écrit-il, que le diable, qui nous guette l'un et l'autre, ne sache pas son métier… » Au dire des contemporains, Julie garda sur le visage de telles cicatrices que son teint en fut « gâté », ce qui n’éclipsa pas, cependant sa grâce de salonnière…

En ce qui concerne Voltaire, il contracte la maladie en 1723 et tombe malade au point de rédiger son testament. Plus tard, dans ses Lettres philosophiques, il consacrera de nombreuses lignes à vanter l’inoculation.

Quant à Mirabeau, on disait que sa légendaire laideur était encore accentuée par les profondes cicatrices de la petite vérole dont il avait souffert dans la petite enfance…

L’inoculation

Au XVIIIe siècle, les Turcs pratiquent ce que l’on nomme l’inoculation, ancêtre de la vaccination, procédé sans doute venu de Chine. En 1712, un voyageur, Aubry de la Mottraye, signale que les jeunes Circassiennes sont inoculées : « Les jeunes Circassiennes sont vendues par leurs parents en vue de peupler les harems des riches Turcs. Si leur visage n’est jamais grêlé, c’est que les vieilles du pays les piquent en cinq endroits différents et mêlent au sang de leurs plaies du pus d’un autre enfant déjà atteint de la petite vérole ».

Quelques années plus tard, Lady Montaigu, épouse de l’ambassadeur anglais, séjourne à Istanbul et s’émerveille de voir que l’on y pratique la vaccination contre la maladie ; elle fait même « inoculer » ses enfants…

Le médecin suisse Tronchin, qui eut les honneurs d’un article dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert,  fut un des ardents défenseurs de l’inoculation en Europe et il la pratiqua en France en 1755 pour la première fois ; en 1774, Louis XVI et ses frères furent inoculés publiquement. De nombreux nobles invitèrent Tronchin à Paris pour faire vacciner leurs enfants, en dépit des résistances de la médecine officielle. Il fallut attendre 1864 pour qu’Ernest Chambon répande la « vaccine animale »…

 

Comme ces exemples le montrent, confiants dans les progrès de l’époque moderne, nous avons eu un peu tendance à oublier, dans les pays développés, que les épidémies ont jalonné notre histoire…

 

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Livres de Gisèle Durero-Köseoglu

2003 : La Trilogie d’Istanbul I,  Fenêtres d’Istanbul.

2006 : La Trilogie d’Istanbul II, Grimoire d’Istanbul.

2009 : La Trilogie d’Istanbul II, Secrets d’Istanbul.

2004 : La Sultane Mahpéri, Dynasties de Turquie médiévale I.

2010 : Mes Istamboulines, Récits, essais, nouvelles.

2012 : Janus Istanbul, pièce de théâtre musical, livre et CD d’Erol Köseoglu.

2013 : Gisèle Durero-Köseoglu présente un roman turc de Claude Farrère,  L’Homme qui assassina, roman de Farrère et analyse.

2015 : Parution février: Sultane Gurdju Soleil du Lion, Dynasties de Turquie médiévale II.

 

 

 

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