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10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 23:00

Le 11 février 1650, mourait à Stockolm le grand mathématicien, physicien et philosophe du XVIIe siècle, René Descartes.

1620

 Descartes en 1620

 Mais que diable était-il donc allé faire au pays « des ours, entre des rochers et des glaces » (selon ses propres paroles) ?

descartes par Mignard Descartes par Mignard

C’est qu’en septembre 1649, il avait accepté, après maintes hésitations, l’invitation de la jeune reine Christine de Suède, avec laquelle il correspondait depuis deux ans.

christine-2.jpg

En effet, Descartes admirait Christine,  fameuse pour avoir régné à dix-huit ans et avoir mis fin à la guerre avec ses voisins ; personnage romanesque, provocante pour l’époque dans les habits d’homme qu’elle affectionnait, passionnée de musique, de danse et d’art, elle était aussi férue de philosophie. C’est la raison pour laquelle Descartes se résolut à prendre la route…

christine suede

Mais une fois installé, le philosophe est déçu. La reine se révèle une élève médiocre. Et surtout,  très occupée, elle ne lui consacre que peu de temps ; pis, elle lui donne des rendez-vous dans sa bibliothèque à  cinq heures du matin, à lui qui n’aime vivre que dans son « poêle » !

 Louis-Michel-Dumesnil.jpg

Descartes et la reine, par Dumesnil

Un jour, elle lui demande d’imaginer un ballet de cour, intitulé « La naissance de la paix », pour célébrer le traité de Westphalie ; il s’exécute ; elle veut voir le plan dès l’aube, alors que sévit un froid polaire. Le résultat ? Descartes attrape une pneumonie. En dépit de certaines rumeurs prétendant qu’il aurait été empoisonné par ceux qui  redoutaient son influence sur la reine (elle était luthérienne mais voulait se convertir au catholicisme, vœu qu’elle réalisera plus tard après avoir abdiqué pour partir vivre à Rome…), il semblerait que le philosophe ait succombé à la très forte décoction de tabac qu’il s’était confectionné pour tenter de se soigner lui-même. Descartes serait-il mort d’une overdose de nicotine ?

1640.jpg

Quoi qu’il en soit, les mésaventures de Descartes ne prennent pas fin à sa mort. Sa destinée posthume est un vrai roman macabre.

Lorsqu’on l’enterre, à Stockholm, des admirateurs « prélèvent » son auguste tête. Histoire de conserver le crâne du génie... Lorsque sa dépouille sera rapatriée en France, pour y être enterrée à  l'église Sainte-Geneviève, on découvre qu’il reste bien peu de choses des cendres de Descartes, de petits bouts, tout au plus ! L’un lui a pris l’os de l’index qui a « servi d’instrument aux écrits universels », un autre s’est fait faire une bague avec son omoplate…

Descartes-5.jpg

Quant au crâne, après bien des tribulations, il fut finalement remis, au XIXe siècle, au biologiste Cuvier, qui le plaça au Musée de  l’Homme, où il se trouve encore aujourd’hui. Et encore, n’est-on pas absolument sûr que ce soit le bon, quatre autres crânes ayant été attribués au philosophe !

crane-descartes.jpg

Ah ! René ! Tu leur en as fait voir, avec tes crâneries !

ps :Toutes les illustrations sont prises sur Internet

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24 janvier 2012 2 24 /01 /janvier /2012 23:00

      Mon rêve du jour : des chaises en attente

            Cette photo, je l’ai prise à Tarabya, le lendemain de la neige. Elle me fait rêver.  Chaque fois que je la regarde, j’ai envie d’écrire… Ah ! Quelle nouvelle on pourrait imaginer à partir de ces sièges enneigés !

 SAM_0312.JPG

       Mon accordéon du jour

hiver-2011-2012 0006

Une séance de musique à trois accordéons avec mon cher professeur Hagop Setyan (à gauche) et mon fils Erol…. Deux « chefs » et au milieu, « le petit mitron » (moi)…

       Ma chronique littéraire du jour

Quand les muses des écrivains se prennent pour Némésis... Les actualités littéraires de cette semaine en Turquie sombrent dans les commérages de bas étage avec les révélations fracassantes d’une dame peintre, qui se dit ancienne « amie » du grand écrivain et prix Nobel de littérature (2006) Orhan Pamuk, et jette en pâture aux journalistes ses souvenirs intimes.
         Voilà qui m’agace : si le monsieur avait été le menuisier du coin, est-ce que la dame aurait ameuté l’opinion publique ? Ceux ou celles qui tentent de profiter de la gloire d’un écrivain pour se rendre célèbres me semblent bien pitoyables !
  

Nobel

  Orhan Pamuk recevant le Nobel, photo Internet

Bon, ce ne sera pas la première fois qu’un grand écrivain devient la cible d’une femme dépitée. Dans ce cas précis, je ne peux m’empêcher de comparer, une fois de plus, Orhan Pamuk à Flaubert (Rappelons au passage qu’Orhan Pamuk avait déclaré à Rouen, en 2009, « Monsieur Flaubert, c’est moi ! »).  

RouenOrhan Pamuk, Docteur Honoris causa de l'université de Rouen en 2009, photo Internet 

En effet, abandonnée par « l’homme-plume », Louise Colet se vengea de Flaubert en écrivant le roman Lui, où elle dressait son portrait-charge en le mettant en scène sous les traits de Léonce, un écrivain égoïste, avare, incapable d’aimer. Mais il y a une grande différence entre les deux anecdotes : Louise Colet avait du talent et sa vengeance avait un certain panache ! dag

Flaubert sur un daguerréotype, à 27 ans, document Internet

louise 4Louise Colet

Ceci dit, on se souvient de Flaubert et bien peu de Louise (que personnellement, j’adore, on le sait, mais pas sur ce sujet…) Morale de l’histoire : les œuvres des grands écrivains restent mais les turpitudes de leurs détracteurs s’envolent ! Gageons qu’Orhan Pamuk pourra plaisanter de cette histoire en disant comme Flaubert : « Voilà ce que c’est que d’avoir coïté avec des Muses ! » ( Lettre à Ernest Feydeau » du 12 novembre 1859).

 

             Mon éditeur préféré 

       Mon fils Aksel dans l'antre à livres des Editions GiTa. Aksel Köseoglu est l'éditeur de Tango Galata, Badem Şekeri, de la nouvelle édition de La Sultane Mahpéri et, en tant que responsable de la collection "Istanbul de Jadis", du beau livre de Marc Hélys, Le Jardin fermé. Il sera bientot celui de Janus Istanbul...  Ah, mis à part les professionnels, qui peut imaginer combien d'heures de travail sont nécessaires pour éditer un livre...  

SAM_0337-copie-1.JPG 

   Ma photo du jour

Elle fut réalisée par un des plus célèbres photographes d’Istanbul, Andriomenos, vers 1880.  Né en 1851, Nicolas Andriomenos apprit la photographie chez les Frères Abdullah. En 1879, il ouvre sur la place de Beyazit un studio dans lequel viendront se faire photographier les célébrités de l’époque. En 1909, il déménage au 162 de la Grande Rue de Péra où il exercera son art jusqu’à sa mort, en 1929.  Qui était donc ce joli petit garçon sur la photo « carte de visite » ? En quelles circonstances l’avait-on amené chez Andriomenos ? 

Andriomenos-copie-1.jpg

 

 

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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 21:08

Fille d’un couple ruiné par la Révolution, Marceline Desbordes-Valmore (1786. 1859) semble née sous une triste étoile. Elle perd sa mère à dix-sept ans lors d’un voyage en Guadeloupe. De retour en France, la chance lui sourit un peu, elle devient comédienne et chanteuse  à dix-sept ans et joue dans de nombreuses pièces, à Douai, sa ville natale mais aussi à Paris.

Marceline

L’année de ses vingt-deux ans, la rencontre avec l’écrivain Henri de Latouche bouleverse sa vie. Car si leur première liaison ne dure que deux ans, ce sera en réalité pendant trente ans qu’ils entretiendront une relation passionnée et chaotique, que même le mariage de Marceline avec le comédien Valmore ne parviendra pas à faire cesser. Les souffrances occasionnées par cet amour malheureux constitueront la principale source d’inspiration des poèmes de Marceline.  LatoucheToute sa vie, Marceline connaîtra des drames : après avoir perdu l’enfant qu’elle avait eu avec Latouche, elle a la douleur de voir en disparaître trois sur les quatre autres nés de son mariage avec Valmore. Pauvre Marceline !

3.jpg

En 1819, elle publie son premier recueil, Elégies et romances puis le recueil Les Pleurs en 1833 ; ceux qui considèrent à cette époque qu’il est incorrect pour une femme de devenir écrivain la surnomment méchamment « Notre-Dame des pleurs » ; Marceline expliquera d’ailleurs dans un roman autobiographique, L’Atelier d’un peintre, les difficultés rencontrées, dans la société du XIXe, par une femme souhaitant mener une carrière littéraire ou artistique. En dépit de ses détracteurs, nombre de ses contemporains reconnaissent son talent lyrique, le roi Louis-Philippe lui accorde une pension et  ses admirateurs ne se comptent plus.

1833.jpg

 Poème : « Qu'en avez-vous fait ? »

Vous aviez mon cœur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu,
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :

Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?


Comme un pauvre enfant
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant
Que rien ne défend,

Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu'un jour
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour
Il revoit l'amour ?

Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde ;
Vous appellerez,
Et vous songerez !...

Vous viendrez rêvant
Sonner à ma porte;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l'on vous dira :
" Personne !... elle est morte. "
On vous le dira ;
Mais qui vous plaindra ?

2

Finalement, loin d’être découragée par les attaques des misogynes, Marceline décide d’abandonner le théâtre pour se consacrer entièrement à l’écriture et publie Pauvres Fleurs en 1839.

Douai-statue.jpg

CARTE POSTALE représentant la statue de Marceline à Douai

Pour ceux et celles qui croiraient que Marceline est un auteur mineur du Romantisme, sachez que les grands écrivains du XIXe  l’ont beaucoup admirée ; Balzac ne cesse de vanter la beauté de ses textes, Verlaine lui trouve du « génie » et lui emprunte le vers de 11 syllabes, qu’elle est la première à utiliser à cause de sa musicalité, Baudelaire et Sainte-Beuve louent sa sensibilité et son talent de poétesse. De plus, nombre de ses poèmes ont été mis en musique par de prestigieux musiciens : Saint-Saëns compose sur le poème « Le Soir », Rossini sur « Le Saule pleureur ». Et en 1928, Stefan Zweig lui consacre carrément un livre entier, appelé Marceline Desbordes-Valmore.

Theatre-de_Douai-plafond.jpg

Fresque représentant Marceline au plafond du théâtre de Douai

En 1997, Julien Clerc lui a rendu hommage en mettant en musique, sous le titre « Les Séparés », son poème « N’écris pas ». (Lien vers la vidéo de Julien Clerc link)

  Ah, Marceline, l’émotion de tes vers a résisté aux oubliettes du temps !

Drolling.jpg

Portrait de Marceline par Drolling

Poème : N’écris pas 

N’écris pas. Je suis triste, et je voudrais m’éteindre.

Les beaux étés sans toi, c’est la nuit sans flambeau.

J’ai refermé mes bras qui ne peuvent t’atteindre,

Et frapper à mon cœur, c’est frapper au tombeau.

N’écris pas ! 

 

N’écris pas. N’apprenons qu’à mourir à nous-mêmes.

Ne demande qu’à Dieu… qu’à toi, si je t’aimais !

Au fond de ton absence écouter que tu n’aimes,

C’est entendre le ciel sans y monter jamais.

N’écris pas ! 

 

N’écris pas. Je te crains ; j’ai peur de ma mémoire ;

Elle a gardé ta voix qui m’appelle souvent.

Ne montre pas l’eau vive à qui ne peut la boire.

Une chère écriture est un portrait vivant.

N’écris pas !  

 

N’écris pas ces deux mots que je n’ose plus lire :

Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ;

Que je les vois brûler à travers ton sourire ;

Il semble qu’un baiser les empreint sur mon cœur.

 

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6 décembre 2011 2 06 /12 /décembre /2011 23:00

J’adore Flaubert. Lorsque j’étais jeune fille, c’est la lecture des deux versions de L’Education sentimentale qui m’a procuré un des plus grands plaisirs de lecture de ma vie ! Il y a une maladie contagieuse chez les écrivains, connus ou moins connus : la “gustavite” !

Alors, étant fanatique de l’Ermite de Croisset, je possède à peu près tous les livres ayant paru sur LUİ, toutes les cartes postales anciennes le représentant. … Bref, cela implique aussi que  je me suis amplement penchée sur sa vie sentimentale.

 Flaubert à seize ans : Le fou d’Elisa !

Comme il nous le raconte avec un romantisme exacerbé dans Novembre ou dans Les Mémoires d’un fou, deux œuvres de jeunesse qu'il “reniera” par la suite, l’année de ses quinze ans, sur une plage de Trouville, Gustave tombe fou amoureux d’Elisa Schlesinger. Notez quand même que la première fois qu’il la voit, Elisa est en train d’allaiter son bébé. Mais voilà qui ne décourage pas notre cher futur Flaubert (les écrivains et artistes ont une sensibilité légèrement différente de celle des autres hommes, ce n’est pas la première fois qu’on en fait la remarque …)

 Delaunay.jpg

Flaubert adolescent par Delaunay

Au fait, comment est-elle, notre Elisa : très belle d’un point de vue très subjectif car Flaubert lui reconnaît certains défauts, elle a des kilos en trop (qu’il nomme par euphémisme un “flou artistique” et même un duvet un peu trop prononcé sur la lèvre supérieure !   

elisa-copie-1.jpg Gravure représentant Elisa Schlésinger et sa fille

N’empêche... Elle deviendra l'inspiratrice de L'Education sentimentale. Et pour une dizaine d’années sa “chambre royale”. Pas de chambre, pourtant, dans cette histoire, il ne s’est jamais rien passé entre eux. Cependant, la scène de L’Education Sentimentale où Frédéric Moreau attend Madame Arnoux dans un studio et où, finalement, elle ne vient pas, me semble bien autobiographique ! Nous aurais-tu menti, Gustave ? Aurais-tu tenté en vain le tout pour le tout ? Toujours est-il que Gustave écrira souvent des lettres à Elisa. Agé, il lui écrit encore ; elle finira par avouer qu’elle n’avait pas, jadis,  été insensible au charme du jeune Gustave mais il était si jeune et elle, mariée et plus âgée que lui… Ah, les âmes-sœurs qui se ratent !

Louise la mégère et Gustave le misogyne !

L’année de ses vingt-cinq ans, en 1846, l’existence de Gustave est déchirée par deux drames : la mort de son père et celle de sa sœur Caroline. 

  dag.jpg

Flaubert à 25 ans, daguerréotype découvert il y a quelques années

Alors qu’il se rend à Paris chez le sculpteur Pradier pour faire réaliser le buste funéraire de Caroline, Gustave fait la connaissance de “La Muse”, Louise Colet, femme de lettres célèbre (un peu pour ses livres… beaucoup pour ses amants). Très belle, elle pose pour Pradier.

statue.jpgLouise Colet en 1837 par Pradier                       

 Coup de foudre réciproque !

 Mardi soir, minuit. 4 Août 1846.

Il y a douze heures, nous étions encore ensemble ; hier à cette heure-ci, je te tenais dans mes bras... t'en souviens-tu ? Comme c'est déjà loin ! La nuit maintenant est chaude et douce ; j'entends le grand tulipier, qui est sous ma fenêtre, frémir au vent et, quand je lève la tête, je vois la lune se mirer dans la rivière. Tes petites pantoufles sont là pendant que je t'écris ; je les ai sous les yeux, je les regarde... lui écrit-il.

louise-1.jpg

Seulement, voilà, Gustave n’aime pas qu’on le dérange dans son travail ! La correspondance enflammée échangée entre les deux amants se change vite en un vilain petit jeu : reproches de Louise-justifications de Gustave !  Louise se sent mal aimée, Gustave étouffe sous ce « trop d’amour ».

Louise.jpg

Tu as voulu, toi, tirer du sang d’une pierre. Tu as ébréché la pierre et tu t’es fait saigner les doigts. Tu as voulu faire marcher un paralytique, tout son poids est retombé sur toi et il est devenu plus paralytique encore… 

Finalement, déçue par ce qu’elle appelait la « monstrueuse personnalité » de Gustave, Louise  finit par le tromper et se retrouve enceinte de son amant ! Cette nouvelle met le point final à leur première liaison.

La vérole est moins à craindre que la passion...   

Flaubert part oublier en Orient. Et oublie bien. Se console avec beaucoup de femmes, dont la fameuse courtisane Kuçuk Hanım, qui danse devant lui avec le "bas du corps caché par ses immenses pantalons roses, le torse tout nu couvert d'une gaze violette".   Image--10-.jpg

De retour, cependant, il entame avec Louise une seconde liaison. Mais le charme est rompu. Les scènes de jalousie et les crises de possession de la Muse le lassent. D’autant plus que Louise, devenue veuve,  n’a de cesse de vouloir s’installer à Croisset, voire de se faire épouser par Flaubert. C’en est trop pour “l’homme-plume”.

louise-2.jpg

D’ailleurs, tous ses amis le lui disent : Louise est une mégère, une harpie !

Du haut de sa belle misogynie, voilà comment il la congédie, le 6 mars 1655 :

 J’ai appris que vous vous étiez donné la peine de venir hier, dans la soirée, trois fois, chez moi. Je n’y étais pas. Et dans la crainte des avanies qu’une telle persistance de votre part pourrait vous attirer de la mienne, le savoir-vivre m’engage à vous prévenir : que je n’y serai jamais. 

louise-3.jpg

Louise se vengera en mettant en scène Gustave sous le masque d'un écrivain imbu de lui-même dans son roman, Lui.

De ce fait, la postérité n’a cessé de vilipender la Muse ; mais moi, je l’adore et je collectionne les livres et les souvenirs la concernant ! Comment pourrais-je ne pas aimer celle qui a eu l’honneur d’être aimée neuf ans par mon cher Gustave ! louise 4

 

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18 novembre 2011 5 18 /11 /novembre /2011 22:43

          Rappelons que dans Le Banquet, Platon nous raconte que les êtres humains étaient à l’origine constitués d’un seul corps à huit membres, avec une tête à deux visages ; mais ce jaloux de Zeus, redoutant que ces vulgaires mortels ne deviennent plus puissants que lui, trouva la solution idéale : les couper en deux !

          De cette façon, chaque être, sa vie durant, passe son temps à rechercher sa moitié perdue, son âme sœur !

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         Carte ottomane de 1900

         

          Ces théories ont été reprises par le New Age, qui propose une vision ésotérique de la vie. Actuellement, le grand théoricien de l’âme sœur est le psychiatre américain Brian L.Weiss. Auteur de best-sellers, voilà ce qu’il explique dans son (désormais introuvable, épuisé et vendu d’occasion très cher sur Internet) livre De nombreuses vies, de nombreux maîtres :  

 

          Chacun de nous a une âme sœur, voire deux ou trois, celles- ci franchissent les océans du temps et les dimensions de l'espace, elles peuvent surgir de l'au-delà pour nous retrouver. Elles ont changé d'aspect, mais notre cœur sait les reconnaître. Et si notre mental cherche à se mettre en travers, notre cœur lui, devine. La première fois qu'il prend votre main, le souvenir transcende le temps et produit un choc dans chacun des atomes de votre être. Elle vous regarde dans les yeux, et, par delà les siècles, vous la retrouvez votre âme sœur. L'estomac se noue, vous avez la chair de poule. Rien d'autre ne compte plus pour vous. Il se peut que l'un de vous ne reconnaisse pas l'autre. Vous sentez que vous êtes si proche et que dans l'avenir, d'infinies possibilités s'offrent à vous, mais lui ne se rend compte de rien. Ses peurs, son mental, ses tracas obscurcissement sa vision, et il ne vous laisse pas l'aider à écarter le voile. Vous vous lamentez et souffrez, et il passe son chemin. Le bonheur tient parfois à peu de chose. Mais, quand tous deux se reconnaissent, c'est un volcan de passion.   Gloups !

 

marins-constantinople.jpg

Carte de 1906

 

Quelques âmes sœurs célèbres de la littérature :

 

Dante et Béatrice : Dante tombe amoureux d’elle quand il n’a que … neuf ans ! Mais elle sera mariée à un autre ; elle mourra et il partira à sa recherche dans La Divine comédie.

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Les retrouvailles de Dante et Béatrice au paradis, par Rossetti, 1854

 

Pétrarque et Laure : poète du XIVe siècle, Pétrarque a écrit pour Laure des poésies d’amour qui comptent parmi les plus célèbres de la littérature mondiale.

 Petrarque.jpg

Page de manuscrit représentant Pétrarque et Laure

 

Abélard et Héloïse : moine et brillant professeur de 37ans, Abélard tombe amoureux de son élève Héloïse ; l’oncle de la jeune fille le punit de sa passion en le faisant castrer ; par amour pour Abélard, Héloïse deviendra moniale et ils échangeront une immense correspondance.

 

photosParis-janvier-2010-015.jpg

 Tombeau d'Héloise et Abélard au Pere Lachaise

 

Montaigne et Mademoiselle de Gournay : Il a 55 ans, elle, 23, elle est écrivaine, elle se prend de passion pour lui en lisant ses œuvres et parvient à faire sa connaissance ; bien qu’il l’appelle sa « fille d’alliance », Montaigne avoue : « Je ne regarde plus qu’elle au monde ». Après la mort de Montaigne, c’est elle qui  réalisera la première édition posthume des Essais.

 

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Mademoiselle de Gournay

 

Diderot et Sophie Volland : il est marié, elle est une « vieille fille », ils se prennent de passion l’un pour l’autre mais leurs familles respectives les empêchent de se voir ; il ne leur reste plus qu’à échanger des lettres, ce qui nous a permis de connaître une merveilleuse œuvre de Diderot, ses Lettres à Sophie Volland.

 

diderot

 

Lamartine et Elvire : Lamartine rencontre Julie Charles au lac du Bourget ; elle est mariée ; l’année suivante, elle ne vient pas au rendez-vous car entre temps, elle est morte de la tuberculose, ce qui nous a valu le poème « Le Lac »… Et a aussi obligé Lamartine à censurer plus tard ses poèmes et à changer le nom de "Julie" en "Elvire" pour que son épouse ne prenne pas ombrage de ces déclarations d’amour enflammées qui ne lui étaient pas destinées…

 

le-lac.jpg

        Illustration d'époque pour "Le Lac" de Lamartine

Et aussi :

Rousseau et Madame de Warens

Hugo et Juliette Drouet

Nerval et Jenny Colon

Balzac et Eve Hanska

Malraux et Josette Clotis

Arthur Koestler et Cynthia

Marguerite Duras et Yann Andréa Steiner…

 

Pour finir, une question capitale : "faut-il" ou "peut-on" croire aux âmes sœurs ?

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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 22:04

“Mon père, après la naissance de mon frère unique, partit pour Constantinople, où il était appelé, et devint horloger du sérail” déclare Rousseau dans Les Confessions.

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Jean-Jacques naîtra des retrouvailles de ses parents après le séjour turc d’Isaac. Ce dernier a-t-il vraiment réglé les pendules du Palais de Topkapi ou n’était-il qu’un simple artisan parmi tant d’autres chargés d’entretenir en Orient les montres que les Suisses commençaient à exporter ? Il semble probable que si Isaac avait réellement occupé la fonction d’horloger du sérail, il n’aurait pas manqué de faire venir sa famille à Istanbul.      Isaac.jpg

Isaac Rousseau

Mais de ce père négligent, qui abandonna quasiment ses enfants, Jean-Jacques gardera toute sa vie l’image idéalisée de “l’horloger du sérail”, si bien que l’on retrouve dans son œuvre de nombreuses références à l’Empire ottoman.

STP63299.JPGLa plaque dédiée à Isaac Rousseau sur la place de Galata

De plus, au XVIIIe siècle, on raffole des Turqueries. Lorsque le peintre Van Mour, sur les instances de Monsieur de Ferriol, Ambassadeur du roi, réalise une centaine de tableaux représentant tous les costumes de l’Empire ottoman, son livre, Recueil de cent estampes représentant différentes nations du Levant, gravées sur les tableaux peints d’après nature  en 1707 et 1708, par les ordres de M de Ferriol, Ambassadeur du Roi à la Porte, obtient un tel succès que sa publication va marquer une étape importante dans l’histoire de l’Orientalisme : non seulement, ses gravures constitueront une inépuisable source d’inspiration pour de nombreux écrivains et artistes mais aussi, chacun se met en tête de revêtir un costume turc ou de se faire portraiturer avec.

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Le Comte de Vergennes en costume turc par Antoine de Favray, 1766

Rousseau n’échappe pas à la mode. Dès 1756, à Montmorency, il porte le kaftan, qu’il trouve très confortable :

Je pris l’habit arménien. Ce n'était pas une idée nouvelle ; elle m'était venue diverses fois dans le cours de ma vie, et elle me revint souvent à Montmorency, où le fréquent usage des sondes, me condamnant à rester souvent dans ma chambre, me fit mieux sentir tous les avantages de l'habit long… (Les Confessions, Livre XII)

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On peut donc supposer que c’est douillettement enveloppé dans son habit oriental que Jean-Jacques écrivit La Nouvelle Héloïse, Du Contrat social et Emile ou de l’Education.  

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Il envisage même une garde-robe complète : La commodité d'un tailleur arménien, qui venait souvent voir un parent qu'il avait à Montmorency, me tenta d'en profiter pour prendre ce nouvel équipage, au risque du qu'en dira-t-on, dont je me souciais très peu. Cependant, avant d'adopter cette nouvelle parure, je voulus avoir l'avis de madame de Luxembourg, qui me conseilla fort de la prendre. Je me fis donc une petite garde-robe arménienne.

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Il est aidé dans cette entreprise par une dame, Madame Boy de la Tour, qui prend plaisir à exaucer tous les vœux de son idole. Mais Voltaire ne se prive pas de railler les lubies orientales de Jean-Jacques : il lui trouve une allure de « saltimbanque » !

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Le scandale déclenché par ses livres et leur interdiction par le Parlement de Paris, qui condamne l’auteur à une « prise de corps »,  contraignent Rousseau à fuir à Môtiers, en Suisse, village administré par la Prusse.

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 La maison de Môtiers, éphémère refuge de Rousseau entre 1762 et 1765, jusqu’à ce que les murs n'en sont lapidés par une foule en colère contre le philosophe…

Jean-Jacques consulte le pasteur, qui l’autorise à se rendre au temple dans son costume oriental doublé de fourrure : 

Je pris donc la veste, le cafetan, le bonnet fourré, la ceinture ; et après avoir assisté dans cet équipage au service divin, je ne vis point d'inconvénient à le porter chez milord maréchal. Son excellence, me voyant ainsi vêtu, me dit pour tout compliment, Salamaleki ; après quoi tout fut fini, et je ne portai plus d'autre habit…  

  rousseau

 Un ami de Jean-Jacques a raconté l’anecdote suivante ; son kaftan effrayait les vaches !

Un autre jour, nous revenions d'herboriser avec lui : un troupeau de vaches, engagé dans les sinuosités du sentier que nous suivions, marchait vers nous pour s'en retourner au hameau. M.Rousseau était affublé d'une houppelande rouge, assez semblable pour la forme, à la soutane ecclésiastique ; c'est pourquoi quelques écoliers, par plaisanterie, le nommaient entre eux le prêtre arménien. Un de ces animaux, effarouché à l'apparition du manteau, fit un bond, enfonça et franchit, à deux pas de M. Rousseau, la haie qui bordait son chemin…

 

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Pour finir, je me permettrai une remarque, très cher Jean-Jacques.

Toi qui passas ta vie à vilipender le luxe, n'étais-tu pas, toi aussi, comme Denis (cf. l’article sur la robe de chambre de Denis Diderot), un sacré coquet, tout de même ?

  

Sources : Toutes les photos de cet article sont prises sur Internet. Les citations de Rousseau sont extraites des Confessions. J'ai consulté aussi la très intéressante étude de Yolande Crowe (2007)  sur le manteau arménien de Rousseau. 

 

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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 03:46

Au XVIIIe siècle, la robe de chambre, vêtement d’intérieur confortable et décontracté, semble être la tenue préférée de nombreux philosophes. C’est le cas de Denis Diderot, qui adopte une robe de chambre bleue qu’il revêt durant les longues heures de travail acharné nécessaire à l’Encyclopédie, de 1747 à 1765.

Seulement voilà ! En 1767, le peintre Van Loo peint Denis revêtu de sa tenue fétiche mais ce dernier n’aime pas le portrait ; il ne se trouve pas l’air d’un philosophe  mais celui “d’une vieille coquette qui fait encore l’aimable !” 

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Diderot par Van Loo

 “Que diront mes petits-enfants, lorsqu’ils viendront à comparer mes tristes ouvrages avec ce riant, mignon, efféminé, vieux coquet-là ? » s’écrie-t-il.

Sur ces entrefaites, Madame Geoffrin, la célèbre salonnière qui a aidé au financement de l’Encyclopédie et participé à la diffusion des idées des Lumières en recevant  tous les lundis les intellectuels de l’époque dans son hôtel de la rue Saint-Honoré...

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... fait remplacer un jour, en l’absence de Denis,  tous les vieux meubles du philosophe par du mobilier moderne et surtout, met à la poubelle sa vieille robe de chambre bleue pour lui substituer une luxueuse robe de chambre en soie écarlate !  

Pour ne pas être impoli, Diderot la revêt. Mais il ne cessera de se pleurer sa vieille robe de chambre usée, à qui, rétrospectivement, il trouve toutes les vertus.

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Diderot par Fragonard en 1769

Sa  nostalgie devient si forte qu’en 1772, il écrit un petit essai intitulé

Regrets sur ma vieille robe de chambre ou avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune

 

Il en regrette le confort :

 

Pourquoi ne l'avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j'étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j'étais pittoresque et beau. L'autre, raide, empesée, me mannequine…

Il la trouvait si pratique pour effacer la poussière des livres  ou essuyer les taches d’encre !

Un livre était-il couvert de poussière, un de ses pans s’offrait à l’essuyer. L’encre épaissie refusait-elle de couler de ma plume, elle présentait le flanc. On y voyait tracés en longues raies noires les fréquents services qu’elle m’avait rendus.

Il trouve que dans la nouvelle, trop somptueuse, il n’a plus l’air d’un écrivain :

Ces longues raies annonçaient le littérateur, l'écrivain, l'homme qui travaille. A présent, j'ai l'air d'un riche fainéant ; on ne sait qui je suis.

diderot2.jpgEnfin, il est convaincu que sa vieille robe de chambre était en harmonie avec son décor :

Ma vieille robe de chambre était une avec les autres guenilles qui m'environnaient…

Alors que le luxe de la nouvelle et de ses meubles neufs détone avec son caractère :

Tout est désaccordé. Plus d'ensemble, plus d'unité, plus de beauté.

1772

En 1772, peint par Levizky, Denis porte désormais la robe de chambre écarlate.

Ah, Denis, quelle  coquetterie dans ton refus de la coquetterie !

 

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 15:16

En 1834, Honoré, enivré par le succès de son roman La Physiologie du mariage, veut se transformer en dandy : habits coupés par les meilleurs tailleurs, dont un célèbre complet bleu à boutons d’or massif, gants « beurre frais »…

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Pour compléter sa parure, il se fait fabriquer par un joaillier une gigantesque canne en jonc, au pommeau incrusté de grosses  turquoises et dont la chaînette est, murmure-t-on, confectionnée avec un collier de jeune fille d’Eve Hanska.

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Photo du site de la Maison de Balzac, Paris, rue Raynouard

Il ne paraît plus en public sans cet étrange accessoire, clé de voûte de son élégance. La raison ?

Esthète, Balzac aime les beaux objets, d'autant plus qu’il se ruine pour les acquérir ; mais surtout, il veut faire parler de lui ! Il a bien compris que s’entourer de mystère contribuera à la publicité de ses romans !

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Photo du site de la Maison de Balzac, Paris, rue Raynouard

Car tous d’épiloguer sur ce que contient le pommeau de la canne, qui s’ouvre comme un coffret : une mèche de cheveux d’Eve Hanska ? Voire un dessin la représentant toute nue ? Certains prêtent à la canne des pouvoirs magiques ! D’autres lui confèrent une signification sentimentale : Honoré l’aurait fait fabriquer pour commémorer le jour où Eve lui tomba dans les bras !

 

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Eve Hanska

Très satisfait des rumeurs qu’il fait naître, Honoré écrit  en 1834 à Eve Hanska : « Vous ne sauriez imaginer quel succès a eu ma canne, ce bijou qui menace de devenir européen… Tout le dandysme de Paris en a été jaloux ! Il paraît que ce sera matière à biographie ! »

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« A quoi Monsieur de Balzac doit-il sa réputation européenne ? Un peu sans doute à ses romans mais surtout à sa canne » lance rageusement Boitel, un adversaire du grand écrivain, en 1837.

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La canne inspira même en 1836 un petit roman à Delphine de Girardin, La Canne de M. de Balzac (1836) : « Mais cette canne, cette énorme canne, cette monstrueuse canne, que de mystères elle pouvait renfermer ! Elle devait même renfermer ! Quelle raison avait engagé M. de Balzac à se charger de cette massue ? Pourquoi la porter toujours avec lui ? Par élégance, par infirmité, par manie, par nécessité ? Cachait-elle un parapluie, une épée, un poignard, une carabine.... ? » 

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Balzac aime tellement la dépense que les créanciers le poursuivent ; pour leur échapper, en 1840, il s’installe sous un faux nom dans une petite maison à Passy. Cette demeure, la seule qui subsiste des logements parisiens de Balzac, verra naître de nombreux chefs-d’œuvre de La Comédie humaine : Une ténébreuse affaire, La Rabouilleuse, Splendeurs et misères des courtisanes, La Cousine Bette, Le Cousin Pons...

 

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C’est là qu’on peut encore  admirer aujourd’hui, une Généalogie des personnages de La Comédie humaine comportant 1 000 représentations sur les 6 000 que compte la somme romanesque, la cafetière, objet fétiche du maître et évidemment, la mirifique canne « à ébullition de turquoises » !

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Le bureau de Balzac dans sa maison de Passy, pièce qui fut témoin du travail de forçat d’Honoré : Travailler, c'est me lever tous les soirs à minuit, écrire jusqu'à huit heures, déjeuner en un quart d'heure, travailler jusqu'à cinq heures, dîner, me coucher, et recommencer le lendemain"…

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photosParis-janvier-2010-040.jpgSources :

Lucien Dällenbach, La Canne de Balzac, Ed. José Corti.

Site de la Maison de Balzac, Rue Raynouard.

            

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 10:28

Sacrée précieuse ! 14 ans pour dire “oui” !

 Les Précieuses s’y connaissaient dans l’art de se faire désirer par leurs amoureux ! Pour séduire sa belle, comme l’indique la Carte de Tendre,  représentant de façon allégorique les étapes de l’amour selon la Préciosité, il fallait passer par les villages de « Joli-Vers… Billet-Galant… Billets-Doux… » Gare aux impatients faisant preuve de précipitation pour parvenir aux « derniers engagements » ! C’était la noyade garantie dans le « Lac d’Indifférence » !

 

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Un des exemples les plus célèbres de l’histoire de la galanterie précieuse fut l’entreprise de séduction menée par le Duc de Montausier pour se faire aimer de Julie d’Angennes.

Qui était donc la belle Julie ?

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  Elle passait pour une des plus belles femmes de l'époque... Mais il faut ajouter que  son charme le plus évident était son esprit...

  La fille  aînée de Catherine de Vivonne, Marquise de Rambouillet, célèbre salonnière et du Marquis de Rambouillet. Catherine « l’Incomparable Arthénice » et sa fille Julie, «Princesse Julie », animent un salon où se rencontrent tous les gens à la mode de l’époque : Voiture, Benserade, Chapelain, Vaugelas, Segrais, Richelieu, Rotrou, Scudéry, Corneille, Condé, Madame de Lafayette, Mademoiselle de Scudéry, Madame de Sévigné…

Ce n’est que lorsqu’on fréquente la « Chambre bleue », où Catherine de Vivonne, telle une déesse, trône sur son lit d’apparat et qu’on a passé des heures assis dans sa « ruelle » (le tour de son lit) » que l’on peut se targuer de mériter l’étiquette de « Précieux » ou de « Précieuse » !

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Elevée dans l’atmosphère des Salons, fleuron des réunions de sa mère, Julie s’y connaissait donc en matière de subtilités amoureuses ! On la disait belle, spirituelle, cultivée. Ses soupirants ne se comptaient pas. Le roi de Suède Gustave-Adolphe, aurait, sans jamais l’avoir vue, entretenu avec elle une correspondance passionnée ;  le poète Vincent Voiture était si épris d’elle qu’un jour, il ne put se retenir de lui embrasser le bras, ce qui déclencha la fureur de la belle…

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Le poète Vincent Voiture

Qui eut donc les faveurs de cette femme savante peu pressée de se marier ? Le duc Charles de Montausier !

  Selon le critique Jules Tellier, le Grand Siècle a vu en Charles le modèle le plus accompli de « l'honnête homme ».  Mais il faut préciser que Charles de Montausier était un monsieur de mœurs si sévères qu’on l’avait surnommé « fagot d’orties » !  C’était donc là où le bât blessait : Charles n’était ni amusant... ni attirant !

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Effectivement, on comprend mieux les hésitations de Julie en voyant le portrait de Charles...

La seule fantaisie de sa vie fut donc de tomber amoureux,  en 1631, d’une femme qui n’était pas faite pour lui !

Julie ne se décide pas. Elle, si coquette, si mondaine, la reine des Salons, se marier à un « bonnet de nuit » ? On a murmuré à l’époque que Charles et Julie avaient servi de modèle à Molière pour l’Alceste et la Célimène de son Misanthrope… 

 Julie en Julie d'Angennes portant le costume du personnage de l'Astrée, d'Honoré Durfé.

Pour décider Julie à l’épouser, Charles va lui offrir un merveilleux cadeau :

  Le plus extraordinaire livre de l’époque, un recueil de 62 poèmes sur des fleurs dont chacune représente une des qualités de Julie.

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  Réédition moderne du livre

Charles compose en personne 16 madrigaux mais fait appel aux amis de Julie pour écrire les autres et charge Nicolas Robert, célèbre peintre spécialiste des dessins de botanique, de réaliser les illustrations. Un matin de 1641, le jour de la Sainte-Julie, (soit dix ans quand même après les premiers battements de son cœur…) il enferme le précieux manuscrit, à la reliure de maroquin rouge ornée des initiales « J » et « C » enlacées, dans un sac de soie et le fait porter à son égérie pour son réveil.

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Bon, l’effet en fut-il admirable ? Il ne fallut plus que 4 ans à Julie pour se décider à l’épouser ! Il se marient enfin en 1645, elle a 38 ans et lui 35. A force d’attendre…  

Guirlande 5

Un exemple de poème de La Guirlande de Julie, le madrigal "LaTulipe" :

Permettez-moi, belle Julie,
De mêler mes vives couleurs
À celles de ces rares fleurs
Dont votre tête est embellie :
Je porte le nom glorieux
Qu’on doit donner à vos beaux yeux...Guirlande 2

 

 

 Sources : Présentation d’Olivier Barrot, La Guirlande de Julie

La Guirlande de Julie, préface de Irène Frain, Ed. Laffont et Bibliothèque nationale

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18 octobre 2011 2 18 /10 /octobre /2011 16:29

     J’inaugure aujourd’hui dans mon blog une nouvelle rubrique :

     Littérature pour le lycée

      Qu’on ne s’alarme pas ! Cette catégorie n’est pas consacrée à des exercices de méthode de l'Eaf mais plutôt à l’évocation de tous ces grands auteurs qui ont fait et feront encore, je l’espère, les délices de ma vie.  Je vais donc essayer de les faire revivre comme les hommes et les femmes qu’ils ont été, avec leurs chagrins, leurs passions et l'extraordinaire témoignage qu’ils en ont laissé dans leurs œuvres. Cette rubrique n’a pas d’ordre précis, elle suivra le rythme de mes cours du moment ou... de mon inspiration.

Aussi, pour commencer, en ce gris jour d’automne stambouliote, vais-je vous raconter...

  Le fol amour de Rousseau pour Madame de Warens

jj.jpg          Jean-Jacques n’a que seize ans lorsque, fuyant la dureté du graveur chez lequel il est en apprentissage à Genève, il fait une fugue. Et pas une fugue ordinaire : il part tout seul à pied et sans argent vers la Savoie, en France !

Un curé, Monsieur de Pontverre, qui ambitionne de convertir au catholicisme un jeune protestant, l’envoie chez une dame qui s’occupe des nouveaux convertis. Jean-Jacques s’imagine qu’il va rencontrer  « une vieille dévote bien rechignée ». Mais non ! Celle qui lui apparait, le jour des Rameaux de 1728, a vingt-neuf ans et « un visage pétri de grâces, de beaux yeux bleus pleins de douceur, un teint éblouissant… une gorge enchanteresse… »

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Madame de Warens était-elle aussi belle que le dit Rousseau ? Difficile d'en juger aujourd'hui, vu l'évolution des canons de beauté... (Illustration du site du Musée de Chambéry) 

C’est donc le coup de foudre pour Jean-Jacques !

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Illustration d'époque pour Les Confessions

Au bout d’un an, après bien des péripéties, Jean-Jacques s’installe chez Madame de Warens. Précisons quand même qu’à cette époque, Françoise a un autre homme dans sa vie, son intendant, Claude Anet. Il gère ses biens et l’aide à herboriser, car Madame de Warens fait le commerce des plantes aromatiques. Rousseau, lui aussi, se lance dans le jardinage.

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 Au début, la relation entre Jean-Jacques et Françoise est celle d’un fils à sa  mère.  Il l’appelle « Maman », elle le nomme « Petit ». Rousseau n’a pas connu sa mère biologique, décédée dans les jours suivants sa naissance ; affamé de tendresse, il se réfugie dans l'affection de Françoise et savoure la douceur de cet amour platonique. Et même s’il tente par trois fois de s’assumer seul en s’éloignant, il finit toujours par revenir. Elle est devenue son idole !

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En 1732, il a vingt ans et Françoise déménage pour s’installer dans une maison à Chambéry. Là, « Maman » parachève l’éducation de "Petit" en musique, littérature, arithmétique. Comme elle joue du clavecin et que Jean-Jacques est passionné de musique (n'oublions pas que, plus tard, il écrira les articles de musique de l'Encyclopédie, inventera un système de notation musicale et composera deux opéras) , ils se produisent tous deux dans de petits concerts.

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Puis, pour gagner quelques sous, Rousseau se met à donner des cours de musique aux filles des amies de Françoise.  

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 Seulement voilà ! Une des amies jette son dévolu sur Rousseau ! Et que fait Maman ? Elle est jalouse !  Elle se rend compte que son « Petit » a grandi et qu’une autre femme va le lui enlever. Aussi décide-t-elle, pour se l'attacher,  de le « traiter en homme » !

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En fin de compte, Rousseau regrettera cette évolution de leur relation.

Elle était pour moi plus qu'une sœur, plus qu'une mère, plus qu'une amie, plus même qu'une maîtresse ; et c'était pour cela qu'elle n'était pas une maîtresse. Enfin, je l'aimais trop pour la convoiter:  Voilà ce qu'il y a de plus clair dans mes idées... J'étais comme si j'avais commis un inceste. Deux ou trois fois, en la pressant avec transport dans mes bras, j'inondai son sein de larmes...

  Et Claude Anet dans tout cela ? Comme on peut l’imaginer, il ne fut pas très content lorsqu'il comprit que la relation entre « Maman » et « Petit » avait un peu changé de nature. Très affecté par cette révélation, en 1734, il tente de se mettre fin à ses jours en avalant du laudanum puis finir par mourir dans des conditions mystérieuses que l’on interpréta comme un suicide.

En 1737, comme elle a des ennuis financiers, Françoise loue une petite maison de campagne, Les Charmettes.

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Ce sera la maison du bonheur.

 Une maison isolée au penchant d'un vallon fut notre asile, et c'est là que dans l'espace de quatre ou cinq ans j'ai joui d'un siècle de vie.

Jean-Jacques a enfin « Maman » pour lui tout seul ! Dans les Confessions, (Livre VI) il écrira à propos de cette période bénie une des plus belles déclarations d’amour de la littérature française :

 Ici commence le court bonheur de ma vie… Je me levais avec le soleil, et j'étais heureux ; je me promenais, et j'étais heureux ; je voyais maman, et j'étais heureux ; je la quittais, et j'étais heureux ; je parcourais les bois, les coteaux, j'errais dans les vallons, je lisais, j'étais oisif, je travaillais au jardin, je cueillais les fruits, j'aidais au ménage, et le bonheur me suivait partout : il n'était dans aucune chose assignable, il était tout en moi-même, il ne pouvait me quitter un seul instant… 

Puis, dans « Le Verger de Madame de Warens » :

Verger cher à mon cœur, séjour de l'innocence,

Honneur des plus beaux jours que le ciel me dispense.

Solitude charmante, Asile de la paix ;

Puissé-je, heureux verger, ne vous quitter jamais...

           Pourtant, ce bonheur idyllique aura une fin.

          Françoise aurait-elle eu un faible pour les jeunes convertis ? Toujours est-il qu'au retour d’un voyage, Rousseau se rend compte qu’il a été supplanté dans le cœur de sa déesse par un autre jeune homme, un perruquier, Wintzenried.

        Ici, je voudrais poser une question à Françoise de Warens : Rousseau nous dit-il vrai ? Tu as vraiment préféré l'amour d'un perruquier à celui d'un des plus grands esprits du XVIIIe siècle ???  Comment obtenir une réponse ? Faire tourner les tables ?

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       Photo du site du Musée des Charmettes

         Jean-Jacques mettra quand même plusieurs années avant de parvenir à couper le cordon avec “Maman”. La relation s’effilochera progressivement jusqu’en 1742, date à laquelle il a le courage de partir, définitivement cette fois, à Paris, pour gagner sa vie.

En dépit des autres passions qu’il éprouvera au long de sa vie, Jean-Jacques n’a jamais oublié son grand amour ;  Françoise de Warens est immortalisée dans son œuvre. A tel point que, plus de trente cinq ans plus tard, dans Les Confessions, il aimerait faire « entourer d’un balustre d’or » le lieu où il l’a rencontrée !

Dans le livre VI des Confessions, il nous raconte comment un petit souvenir de l'époque où il partageait l'existence de son inspiratrice fait naître dans son cœur de singuliers transports. Lors d'une randonnée en montagne avec un ami, il aperçoit une fleur de pervenche.

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Son émotion est telle qu'il ne peut la camoufler ! Parce qu'il vient de se rappeler une promenade faite avec Françoise trente ans auparavant et lors de laquelle elle avait prononcé cette phrase fatidique: "Voilà de la pervenche encore en fleur" ! 

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A la fin de sa vie, dans la dixième rêverie des Rêveries du promeneur solitaire, il lui rend encore hommage, dans une suprême déclaration d’amour, où il regrette de ne pas lui avoir « suffi » :

Aujourd'hui, jour de Pâques fleuries, il y a précisément cinquante ans de ma première connaissance avec madame de Warens. Elle avait vingt-huit ans alors, étant née avec le siècle. Je n'en avais pas encore dix-sept et mon tempérament naissant, mais que j'ignorais encore, donnait une nouvelle chaleur à un cœur naturellement plein de vie. S'il n'était pas étonnant qu'elle conçût de la bienveillance pour un jeune homme vif, mais doux et modeste, d'une figure assez agréable, il l'était encore moins qu'une femme charmante, pleine d'esprit et de grâces, m'inspirât avec la reconnaissance des sentiments plus tendres que je n'en distinguais pas (…)        

Longtemps encore avant de la posséder je ne vivais plus qu'en elle et pour elle. Ah ! si j'avais suffi à son cœur, comme elle suffisait au mien ! Quels paisibles et délicieux jours nous eussions coulés ensemble !

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  • La Trilogie d'Istanbul : Fenêtres d’Istanbul, Grimoire d’Istanbul, Secrets d’Istanbul. La Sultane Mahpéri, Mes Istamboulines, Janus Istanbul (avec Erol Köseoglu), Sultane Gurdju Soleil du Lion.
Contributions : Un roman turc de Claude Farrère, Le Jardin fermé, Un Drame à Constantinople...
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Livres de Gisèle Durero-Köseoglu

2003 : La Trilogie d’Istanbul I,  Fenêtres d’Istanbul.

2006 : La Trilogie d’Istanbul II, Grimoire d’Istanbul.

2009 : La Trilogie d’Istanbul II, Secrets d’Istanbul.

2004 : La Sultane Mahpéri, Dynasties de Turquie médiévale I.

2010 : Mes Istamboulines, Récits, essais, nouvelles.

2012 : Janus Istanbul, pièce de théâtre musical, livre et CD d’Erol Köseoglu.

2013 : Gisèle Durero-Köseoglu présente un roman turc de Claude Farrère,  L’Homme qui assassina, roman de Farrère et analyse.

2015 : Parution février: Sultane Gurdju Soleil du Lion, Dynasties de Turquie médiévale II.

 

 

 

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