Car de célèbres photographes de la fin du XIXe et du début du XXe siècle ont consacré des heures à les faire poser,
à attendre patiemment que le cliché prenne, parfois, à les "coloriser", pour les rendre éternels...
Mais au fait, qui étaient
donc ces artistes qui nous ont laissé de riches témoignages sur les dernières années de l’Empire ottoman ?
Dans la foulée des
étrangers qui, comme James Robertson, ouvrirent les premiers studios de Beyoglu, les pionniers de la photographie ottomane furent généralement des minoritaires d’origine grecque ou arménienne,
la représentation humaine étant prohibée dans l’Islam.
Le premier d’entre eux, Vasilaki,
dit « Basile », Kargopoulo, s’installe en 1850, au numéro 311 de la Grande rue de Péra. Rapidement, il devient célèbre par ses vues d’Istanbul et ses portraits d’étrangers en
costume turc. Devenu « Photographe du sultan » Abdülhamid, il réalisera d’ailleurs une fameuse série de portraits de la famille impériale et des dignitaires de
l’état.
Portrait d’une
belle jeune fille photographiée par Kargopoulo vers 1880
Ce fut ensuite Pascal Sebah qui ouvre, en 1857, dans la
rue Postacilar, un studio nommé « El Chark ». Il démocratise la photo appelée « Carte de visite », collée sur un épais carton. En 1873, il participe à la réalisation du
livre Les Costumes populaires de la Turquie, que Osman Hamdi Bey va présenter à l’Exposition de Vienne, puis, crée une succursale au
Caire.
Tombe de Pascal Sebah à Şişli,
Istanbul
Lorsqu’après sa mort, son fils Jean s’associe avec le français Polycarpe Joaillier, le
studio, qui a pris le nom de « Sebah & Joaillier », deviendra un des plus célèbres du monde oriental. Nommés « Photographes de la cour Royale de Prusse », Sebah &
Joaillier rachètent même, en 1899, l’atelier des Frères Abdullah. Ils travaillent pour plaire aux touristes, en réalisant des clichés illustrant souvent les fantasmes orientalistes de
l’époque, en particulier des femmes en costume turc, qui serviront de base à une multitude de cartes postales ayant circulé en Europe à la fin du XIXe
siècle.
Photographie de
Sebah & Joaillier, en 1893
Quant aux frères Abdullah, Kevork, Vitchen et Hovsep, installés en
1858, la renommée de leurs photos, souvent considérées comme les plus vivantes de cette époque, ne cesse de croître, si bien qu’elles seront à l’honneur lors de la première Exposition
Internationale turque, et aussi à Paris, pour l’Exposition de 1867, à laquelle se rend le sultan Abdülaziz.
Photographie des Frères Abdullah
vers 1880
Le titre glorieux de « Photographes du Sultan », orné du
monogramme du souverain, est apposé à l’arrière de leurs « cartes de visite », qui représentent tous les personnages célèbres.
Dos d’une photo « Carte de
visite » des frères Abdullah avant 1870, ils sont encore « Photographes du Sultan »
Mais en 1870, après la défaite des Ottomans contre les Russes, leur
portrait du Grand Duc Nicolas suscite la colère du sultan, qui leur retire leur privilège, leur interdit d’utiliser sa « tugra » et ordonnera même de détruire dans l’atelier tous les
portraits de la famille impériale. Ce châtiment va marquer la fin de la prospérité des Frères Abdullah qui, après une installation au Caire, se voient dans l’obligation, en 1899, de vendre leur
studio à la firme Sebah & Joaillier.
C’est qu’un nouveau facteur est apparu, la concurrence. Par exemple,
celle de Boğos Tarkulyan, connu sous le pseudonyme de « Phébus Efendi », qui, excellent peintre, est le premier à coloriser ses clichés, devient « Photographe du
sultan » d’Abdülhamid II et immortalise les membres de la famille impériale. Il réalise aussi de nombreux portraits d’enfants avec des jouets, comme un cheval à bascule ou une
bicyclette. Sa notoriété perdurera à l’époque de la République, lorsqu’il réalise de nombreux portraits d’Atatürk, en particulier celui figurant sur les premiers billets
républicains.
Photo d’enfant
réalisée par Phébus vers 1890
Ou de Nicolas
Andriomenos, qui, après avoir été l’apprenti des Frères Abdullah, s’installe à Beyazit en 1860 et donne des cours au prince Vahdettin Efendi.
Ou des trois Frères Gülmez, Artin, Yervant et Kirkor, qui s’établissent
à côté du Théâtre Concordia, remportent la médaille de l’Exposition de Florence en 1887 et un prix à l’exposition de Chicago en 1893, avec leurs photos des petits métiers de la rue et leur album
de vues panoramiques de la Corne d’Or, du Bosphore et de la Tour de Galata, avant que leur studio ne soit rebaptisé « Apollon ».
Photographie du studio Apollon vers
1905
Notons aussi qu’après 1860, les premiers musulmans à s’intéresser à la photographie sont les militaires,
qui installent des ateliers dans certaines écoles de l’armée, par exemple dans celle de Harbiye.
Quant au plus grand collectionneur de la fin du XIXe siècle, il n’est autre que le sultan Abdülhamid II
en personne, qui, passionné de photos, et voulant monter aux pays étrangers le modernisme des villes de l’Empire ottoman, fit réaliser entre 1880 et 1893, par tous les grands artistes de cette
époque, environ 36000 clichés conservées dans les huit cents albums de la célèbre « Collection de Yildiz », dont certains, reliés en cuir rouge, furent envoyés en 1893 à la bibliothèque
du Congrès, à Washington.
Carte postale représentant les princes impériaux en 1900, d'après un cliché de Bogos
Tarkulyan
Carte postale du
Cheval du Sultan, réalisée d’après un cliché des Frères Abdullah
Tous les passionnés de vieilles photos, précieux documents aux
appellations obsolètes comme « papier salé », « tirage albuminé », « photogravure », « cartes de visite », « photochrome », « photo
cabinet », pourront consulter avec plaisir les merveilleux livres de Bahattin Öztuncay (en anglais), en particulier, Les Photographes de
Dersaadet, ceux de Engin Özendes, consacrés aux Frères Abdullah ou à Sebah &Joaillier. Ou celui de Catherine Pinguet, Istanbul, photographes et
sultans 1840-1900, qui vient de paraître en France, illustré par les photographies inédites de la collection de Pierre de Gigord. Sans oublier de se rendre au Musée de Péra, où se déroule
jusqu’en avril une exposition appelée « De Constantinople à Istanbul ».
Car les anciennes photographies, sésames pour voyager dans
une époque révolue, ne nous ouvrent-elles pas aussi la porte du rêve ?
Cet article est aujourd'hui en lien sur
le Petit Journal d'Istanbul : link
Merci au Petit
Journal
♥
Lisez la pièce
de théâtre musical JANUS ISTANBUL, de Gisèle Durero-Köseoglu,
le livre que vous
pouvez lire en écoutant la musique !
JANUS
ISTANBUL, livre avec CD : musique et interprétation des chansons, Erol Köseoglu.
Sortie de la version en turc en mai 2012