La Trilogie d’Istanbul I : Fenêtres d’Istanbul
La Trilogie d’Istanbul est une somme romanesque se déroulant à Istanbul entre 1985 et 2009. Elle comporte Fenêtres d’Istanbul, (GiTa Yayınları, 2003), Grimoire d’Istanbul, (GiTa Yayınları, 2006) et Secrets d’Istanbul, (GiTa Yayınları, 2009).
Le fil conducteur des trois tomes de la Trilogie d’Istanbul est le personnage nocturne du Tambour du Ramadan ; dans Fenêtres d’Istanbul, il marche seul dans la nuit au fil des rues et tombe amoureux d’une fille à sa fenêtre, Lune-de-Tulle ; il devient chauffeur d’un antiquaire dans Grimoire d’Istanbul et brocanteur dans Secrets d’Istanbul…
Le héros de Fenêtres d’Istanbul, un Tambour du Ramadan ?
Il s’agit d’un personnage hors du commun car il passe ses nuits à marcher seul au fil des rues.
La construction du roman fait alterner les chapitres où le héros avance dans le silence nocturne et ceux consacrés aux autres personnages.
Pour un étranger, le Tambour du Ramadan est un personnage du réel extrêmement étonnant.
Car toute la nuit, il parcourt les rues en jouant du tambour pour réveiller les gens qui jeûnent.
Je n’oublierai jamais la première fois où j’ai entendu en Turquie le Tambour du Ramadan. Je venais de m’installer à Istanbul et je ne connaissais pas bien les coutumes turques. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre dans le silence résonner les coups, puis de voir le Tambour lui-même! C’est de ce choc culturel qu’est issu mon personnage.
Dans Fenêtres d’Istanbul, le Tambour joue le rôle de fil conducteur, son destin croise celui des autres personnages, c’est souvent à la suite de ses apparitions dans la rue que nous apprenons les sentiments de chacun. De plus, il fait rêver les habitants de l’immeuble, en particulier les femmes.
Premier extrait du roman : le Tambour marchant dans la nuit…
Maintenant, la rue dort. Les coups de mon tambour s’enflent dans l’obscurité. Les lumières s’allument. Des nuées de flocons de neige tournent comme des papillons dans le faisceau des réverbères. De temps en temps, un chien des rues s’approche, la queue rabattue entre les pattes et me jette un aboiement craintif. J’avance. La baguette à tampon vibre sur le parchemin, je marche au milieu de la chaussée, dans les rues désertes de la nuit. Les poils de ma barbe givrée me tendent le visage. Parfois, une main ouvre la fenêtre et me jette une pièce. S’il n’y avait pas ma belle apparition, je ne serais jamais revenu dans ce quartier où la plupart des gens ne jeûnent pas. Je ne gagnerai rien. Mais l’argent m’indiffère. Tout ce que je voudrais, c’est qu’elle soit derrière la vitre, qu’elle entrouvre la tenture, qu’elle me regarde encore avec ses yeux d’enfant triste.
Là-haut, une jeune femme boulotte berce un bébé devant la vitre. Elle me regarde sans me voir. Il me semble qu’elle se trouve à la même fenêtre que le vieil homme aperçu la nuit dernière. Soudain, la lumière s’est allumée au rez-de-chaussée. Je vais voir le visage de Lune-de-Tulle. Elle écarte le rideau et ouvre la croisée.
— N’oublie pas Lune-de-Tulle, prononce-t-elle dans un murmure.
A toute allure, elle claque la crémone et rabat le tissu.
Deuxième extrait du roman : les dangers de la nuit, l'attaque du chien errant...
Je m’enfuis à toutes jambes. La rue est encore déserte. Ni matinaux, ni noctambules attardés, seulement la neige qui se répand en eau dès qu’elle touche l’asphalte.
Et soudain, une chien surgit d’une ruelle obscure, il s’approche en grognant, je tape du pied sans parvenir à l’intimider, il me montre les dents avec hargne, je frappe dans mes mains mais à l’instant, il bondit et me saisit au poignet, une douleur fulgurante me déchire le bras, je hurle, je ne vois que ses yeux verdâtres! Alors apparaît un fou en train de pousser des cris de coq, le chien me lâche la main, je lui décoche un coup de pied et il décampe la queue entre les pattes. Le fou s’approche de moi, regarde effarouché ma main couverte de sang et prend aussi la poudre d’escampette en coqueriquant.
Je reste seul dans Istiklâl Caddesi, il me faudra marcher vers le lycée de Galatasaray et descendre vers la fontaine pour y laver mon bras, en attendant, je contemple mon sang qui coule en gouttes larges sur la neige et je me sens désespéré. Je ne suis qu’un des déchets de cette ville immense, un pauvre hère de Tambour de Ramadan sans nom et sans foyer, je n’aurais qu’à partir aux collines d’ordures, à me lover dans un des monticules et attendre, personne d’autre qu’Azraël ne viendrait me chercher...
Ce personnage nocturne du Tambour du Ramadan, fut pour moi si poétique, si surréaliste même, que j’en ai fait le personnage principal de mon roman Fenêtres d’Istanbul et que je lui ai encore consacré un texte dans Mes Istamboulines (2010).
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