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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 22:29

             Comme l’interruption volontaire de grossesse est menacée d’être interdite en Turquie et que ce sujet fait l’objet d’une polémique nationale, je considère que j’ai  le devoir, en tant qu’écrivaine, de parler au nom des nombreuses femmes qui  seront les victimes de cette loi, si elle est votée.

Je voudrais préciser tout d’abord que je ne suis pas une « étrangère » se permettant de venir  prononcer des jugements de l’extérieur sur la Turquie. Ayant acquis par mon mariage la nationalité turque (je suis une bi-nationale franco-turque), ce qui m’a donné le droit de vote dans ce pays,  étant la mère de deux enfants franco-turcs et vivant depuis 1983 à Istanbul, je pense posséder  une assez bonne connaissance des mœurs et coutumes de mon pays d’adoption.

Tout d’abord, certains hommes politiques ou médias turcs utilisent le mot péjoratif de « curetage » pour désigner l’IVG, je pense qu’il serait plus objectif d’utiliser l’expression neutre, que j’emprunte à ma langue maternelle, d’ « interruption volontaire de grossesse » ou d’avortement.

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Que risque-t-il de se passer si l’interruption volontaire de grossesse est interdite en Turquie ?

Les femmes les plus riches iront se faire avorter à l’étranger. Des agences  opportunistes  organiseront des tours d’avortements sous couvert de  visites touristiques, moyennant  un pactole. Certains pays limitrophes feront fortune en bâtissant de grandes cliniques privées spécialisées dans les avortements pour les femmes turques.

Les autres riches, mais un peu moins, se feront avorter chez ceux des gynécologues turcs qui accepteront de prendre le risque, pour des raisons humanitaires,  d’aller à l’encontre de la loi. Les médecins qui, par compassion, auront pratiqué un avortement sur une femme en détresse seront jetés en prison et traités comme des bandits. La délation sera monnaie courante pour faire la « chasse aux sorcières » et dénoncer les médecins pratiquant l’avortement illégal. De retentissants procès présenteront comme des criminels ces médecins et leurs patientes.

Les beaucoup moins riches iront voir des faiseuses d’anges en priant le ciel de ne pas avoir d’infection. Les femmes les plus pauvres, quant à elles, bricoleront leur interruption de grossesse à la maison, avec certaines méthodes ancestrales que je ne veux pas nommer  tant elles sont barbares mais qui causaient plus surement la mort de la mère que celle du fœtus. Dans tout ce dernier groupe, des mères de famille ayant plusieurs enfants  à charge mourront dans d’atroces souffrances, des suites d’un utérus perforé, d’une hémorragie ou d’une septicémie. Une fois de plus, ce sont les femmes des milieux défavorisés qui pâtiront le plus de cette interdiction.

Les jeunes filles issues des milieux traditionnels, pour ne pas subir l’opprobre de leur famille si le garçon ne veut pas les épouser, risqueront de se suicider. Quant aux  filles et femmes violées (et il convient de rappeler ici qu’il s’agit souvent de viols incestueux)  elles risquent de choisir, elles aussi, l’option radicale de mettre fin à leurs jours, d’une part pour ne pas porter l’enfant de celui qui les a outragées, d’autre part pour ne pas être mises au ban de leur milieu.

Certaines désespérées parviendront à camoufler leur grossesse jusqu’au bout et abandonneront le bébé à la naissance. Le nombre des orphelins augmentera.

Les jeunes filles ou jeunes femmes enceintes sans le vouloir seront obligées d’interrompre leurs études et n’auront pas de métier pour élever l’enfant qu’elles sont incapables de prendre en charge.

Les marchands clandestins de soi-disant pilules abortives profiteront du désespoir des femmes pour édifier des fortunes. Une multitude de sites Internet fera la réclame de procédés abortifs…

Tout cela n’est pas de la science-fiction mais ce qui risque de se passer si l’avortement devient illégal et donc, criminalisé.

Prenons un exemple emprunté à un feuilleton télévisé turc, que la plupart des gens connaissent en Turquie et qui raconte les difficultés rencontrées par une jeune fille victime d’un sauvage viol collectif, « Fatmagül suçu ne ? » (« Quelle est la faute de Fatmagül ?)  Son fiancé la renie, sa future belle-famille lui crache dessus, la société la juge, l’isole et la persécute. J’apprécie ce feuilleton car il est particulièrement éducatif. Alors, je voudrais ici poser une question cruciale aux hommes souhaitant interdire l’avortement : que se serait-il passé si Fatmagül avait été enceinte ?

 Devait-elle donner naissance à l’enfant de ses violeurs ? Aurait-elle pu l’aimer ? Imaginez, pour finir,  le malheur de cet enfant !

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L’interdiction de l’avortement est une violation du droit des femmes.

En 1971, en France, la célèbre écrivaine Simone de Beauvoir, avait fait paraitre, dans le magazine  Le Nouvel Observateur,  « Le manifeste des 343 », une lettre signée par 343 femmes célèbres déclarant s’être fait avorter. Cela a abouti, en 1975, à la loi libéralisant l’avortement en France.

 Aucune femme ne va avorter de gaieté de cœur. C’est un acte grave et douloureux pour celles qui y sont contraintes. Mais l’empêcher risque de conduire nombre d’entre elles au désespoir,  à l’exclusion, voire au suicide. L’avortement doit rester légal, non pas pour que les femmes avortent plus, mais pour éviter qu’elles n’utilisent des méthodes mettant leur vie en danger. Car ce que les législateurs, tous des hommes, ne savent pas, c’est qu’une femme qui ne veut pas de l’enfant qu’elle porte, utilisera n’importe quel moyen pour interrompre sa grossesse, même si elle met sa vie en danger. Ça, il n’y a que nous, les femmes, qui le comprenons.

La grossesse est une étape merveilleuse de la vie d’une femme. Mais il ne peut en être ainsi que si la femme la désire. Sinon, il s’agit d’une tragédie.  Imposer aux femmes la poursuite d’une grossesse que, pour de multiples raisons, elles ne peuvent assumer, est une grave atteinte à leur liberté et à leur dignité.

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Toutes les statistiques prouvent que dans les pays où l’avortement est interdit, il y a autant d’avortement que dans ceux où il est permis.  Par contre,  le  nombre des femmes mourant des suites d’un avortement clandestin y est très élevé :

-330 morts pour 100000 avortements clandestins dans les pays interdisant l’avortement.

-Entre 0,2 et 1,2 pour 100000 dans les pays où l’avortement est légal.

(Derniers renseignements et chiffres sont pris sur le site des Chiennes de garde, merci aux auteures)

Il ne faut pas se contenter de poser le problème de l'avortement du point de vue éthique ; savoir si l’avortement est un crime ou si le fœtus a une âme ne résoudra pas les problèmes des femmes confrontées à une grossesse involontaire. De toute façon, celles à qui leurs convictions interdisent l'avortement n'ont jamais été obligées d'avorter. Mais il faut avant tout le poser en termes de santé publique :

Interdire l’avortement n’a jamais fait  baisser le nombre des avortements mais seulement augmenter prodigieusement  le chiffre des femmes mortes ou mutilées à jamais !

 

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2003 : La Trilogie d’Istanbul I,  Fenêtres d’Istanbul.

2006 : La Trilogie d’Istanbul II, Grimoire d’Istanbul.

2009 : La Trilogie d’Istanbul II, Secrets d’Istanbul.

2004 : La Sultane Mahpéri, Dynasties de Turquie médiévale I.

2010 : Mes Istamboulines, Récits, essais, nouvelles.

2012 : Janus Istanbul, pièce de théâtre musical, livre et CD d’Erol Köseoglu.

2013 : Gisèle Durero-Köseoglu présente un roman turc de Claude Farrère,  L’Homme qui assassina, roman de Farrère et analyse.

2015 : Parution février: Sultane Gurdju Soleil du Lion, Dynasties de Turquie médiévale II.

 

 

 

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