Un chat qui vous a accompagné pendant plus de 16 ans, c’est un compagnon dont la disparition vous traumatise. Y-a-t-il vraiment un lien de cause à effet entre la mort de mon ami et l’horrible gastro-entérite qui s’est, tout à coup, emparée de moi le lendemain soir ? Je l’ignore. Les esprits raisonnables diront que j’ai tout simplement attrapé un de ces virus qui sèment la terreur en hiver. Les partisans de l’occulte y verront peut-être autre chose : la révolte de mon cœur contre cette perte douloureuse. Cela voudrait-il dire que notre cerveau est capable de « fabriquer » de la fièvre ? La gastro-entérite peut-elle être psychosomatique ? Ah, j’attends la réponse des docteurs avisés …
Mon Pacha était une sorte de Moïse sauvé des eaux en août 1997. Ce jour-là, alors qu’il pleuvait à seaux, mon beau-frère vit arriver dans les ruissellements de l’inondation qui couraient devant sa boutique, un minuscule chaton tigré d’environ un mois et demi. Il le garda deux ou trois jours dans son magasin, jusqu’à ce que les enfants et moi, lui rendant visite, soyons conquis par cette petite boule de poils assez sauvage, il faut bien le dire. Tellement rebelle, même, que la première semaine dans notre appartement s’était assez mal passée, le chaton ne permettant pas qu’on le touche sans mordre ou griffer.
Pourtant, au fil des semaines, le sauvageon s’est métamorphosé en Pacha, le gros matou de la maison (si imposant avec ses huit kilos, qu’adulte, il a souvent fait peur à certains visiteurs qui se demandaient s’il n’était pas un « chat sauvage »), indépendant mais tendre, dont le nom était le même que celui du héros du livre de lecture sur lequel mes fils avaient appris à lire. Un Pacha qui a déployé des trésors de patience et a su demeurer magnanime, sans jamais montrer ses griffes, lorsqu’un des enfants, armé d’une épée et d’un bouclier en plastique, se jetait sur lui dans le corridor en criant « à l’attaque » ou lorsqu’on lui mettait une couronne de galette des rois sur la tête.
C’est que Pacha avait vite compris une chose essentielle : les quatre membres de la maison l’adoraient ! Il n’est pas étonnant que, chez les anciens Egyptiens la maison et les enfants aient été placés sous la protection de la déesse chatte Bastet ; car le chat est vraiment « l’esprit familier du lieu » ( selon Baudelaire). Mon Pacha n’avait jamais griffé personne, à l’exception d’un vétérinaire qui, lui ayant appuyé trop violemment sur le dos, avait découvert ce jour-là comment un brave Raminagrobis se transforme soudain en tigre.
Ses bêtises célèbres : avoir volé le beefsteak sur la table de la cuisine en se cachant sous la nappe, avoir réussi à croquer deux oiseaux sur la terrasse ; et surtout, monter sur ma commode à l’aube, pour en faire tomber une à une mes boucles d’oreille, histoire de me rendre folle et de me forcer à me lever, les matins où il trouvait que je traînais trop longtemps au lit et que sa pâtée était en retard.
Il m’attendait toujours lorsque je rentrais du travail. J’ouvrais la porte et je savais que l’instant d’après, il serait là. Pendant des années, j’ai su le moment exact où mon époux ou un de mes fils venait d’entrer dans l’immeuble car Pacha se dirigeait soudain vers la porte d’entrée de notre appartement.
Mon Pacha était devenu célèbre : il a eu droit, en 2010, à un article dans NT Hayat, le journal de Nisantasi, comme « chat d’écrivain »…
Désormais, il est au paradis des chats. Espérons que là-bas aussi, il vivra comme un pacha…
Bon, on raconte que les anciens Egyptiens se rasaient les sourcils et décrétaient un deuil de 70 jours à la mort de leur chat.
70 jours, est-ce le temps qu’il faut pour se déshabituer de tous les petits bruits qu’un chat provoque dans la maison, lors du parcours bien balisé le conduisant de ses emplacements favoris à ses cachettes dans les placards ?
Voir l’article Pacha Premier de Nisantasi, http://gisele.ecrivain.istanbul.over-blog.com/article-une-vie-de-chat-57969664.html
commenter cet article …