Primo : Ces derniers temps, on entend de plus en plus de discours remettant en cause la liberté et l’autonomie des femmes. D’après certains hommes politiques, les femmes turques pratiqueraient trop d’avortements et de césariennes. La conclusion de ce raisonnement : limiter de façon drastique les autorisations d’avortements et de césariennes ! L’avortement ne serait plus permis au-delà de la quatrième semaine de grossesse et les césariennes soumises à des autorisations spéciales !
Lorsque je suis arrivée en Turquie, ce pays battait deux tristes records : celui de la mortalité des femmes lors des accouchements et des suites des avortements clandestins ! Au fil des décennies, ces chiffres ont chuté et aujourd’hui, ils ne sont pas plus hauts que ceux des autres pays.
Ce triste retour en arrière provoque l’indignation des femmes, de toutes les organisations féminines ou féministes, de nombreux médecins, quelle que soit leur tendance politique.
Va-t-on renvoyer les femmes à l’aiguille à tricoter ou aux faiseuses d’anges ? Ceux qui prennent de telles décisions sont des hommes. Ils ignorent la détresse de celles qui se voient contraintes à l’avortement. Croient-ils que celles qui se font avorter y vont de gaieté de cœur ?
Et les jeunes filles enceintes d’un homme qui ne les épousera pas, n’ayant pas de métier car on ne les a pas fait étudier, et incapables d’assumer seules la charge d’un enfant ? Et qui seront mises au ban de leur milieu avec un enfant illégitime ?
E les mères de famille nombreuses qui n’ont pas de quoi nourrir leurs 5 ou 6 enfants et ne peuvent en assumer un septième ?
Et les filles violées ?
Et les femmes qui, pour des raisons personnelles tout à fait légitimes, ne veulent pas d’enfant ?
Et celles qui risquent de mettre au monde un enfant atteint de graves handicaps et à qui la société n’offre, ici, aucun moyen de soulager leur fardeau ?
Il y a une solution au problème de l'avortement : c'est développer l'éducation des femmes dans le domaine de la contraception. Cependant, il existera toujours des "accidents" et priver les femmes de ce droit les poussera à aller mettre leur vie en danger pour avorter coûte que coûte, dans des conditions déplorables !
Dernières nouvelles de 23h30 : dans la plupart des villes de Turquie, les femmes sont descendues dans la rue pour défendre leur droit acquis à l'avortement... A Eskişehir, elles ont forcé à coups de bâton le barrage des forces de l'ordre tentant de les empêcher de manifester...
Secundo : La polémique autour d’Elif Şafak, qui joue dans une publicité pour une carte de crédit. La situation des écrivains en Turquie est si précaire qu’ils doivent saisir la moindre chance qui s’offre à eux de faire de la publicité pour leurs livres. Il est vrai qu’Elif Şafak, grâce à son talent, est parvenue à une renommée internationale qui la place justement dans le cercle réduit des écrivains turcs vivant de leur plume et n’étant pas contraints d’exercer un autre métier pour survivre. Ceci dit, la polémique autour de son cas est stérile. Si les footballeurs, les actrices de feuilletons télévisés ont le droit de faire de la pub, pourquoi pas les écrivains ? De plus, Elif Şafak, grâce à sa formidable réussite, a toujours suscité la hargne des jaloux. On n’aime les écrivains que tristes et sans le sou !
En ce qui me concerne, en tant qu’écrivaine, je soutiens Elif Şafak, que j’admire. Bravo Elif, continue, les sommes gagnées dans les pubs te permettront de te consacrer à ton œuvre…
Tertio : Un grand artiste menacé, c'est le cas du pianiste et compositeur Fazıl Say, qui risque d’être condamné à un an et demi de prison pour avoir déclaré son athéisme sur Twitter. Le virtuose de renommée internationale a déclaré n’avoir plus d’autre choix que celui de l’exil...
J’arrête là car je vais pleurer !
Tableau de Eren Eyuboğlu